Un César pour toutes les Fatima

Face aux cadors plus ou moins faisandés de la sélection officielle – Dheepan, La Loi du marché, Mon Roi, La Tête haute – et à Marguerite et son million d’entrées, Fatima, de Philippe Faucon, a été sacré « meilleur film ».

Christophe Kantcheff  • 2 mars 2016
Partager :
Un César pour toutes les Fatima
© Photo : PATRICK KOVARIK / AFP

Les Césars sont ce qu’ils sont : une cérémonie laborieuse (même quand elle dure moins longtemps, comme cette année), agrémentée de sketches écrits sans génie, instituant une compétition absurde entre des techniciens, des artistes et des œuvres. Mais ils existent et offrent une image du bilan que les « professionnels de la profession » tirent de l’année cinématographique écoulée. Si les prix décernés sont souvent conformistes, alignés sur le palmarès cannois et/ou sur le box-office, les bonnes surprises ne sont pas toutes évitées. Ainsi, face aux cadors plus ou moins faisandés de la sélection officielle – Dheepan, La Loi du marché, Mon Roi, La Tête haute – et à Marguerite et son million d’entrées, Fatima, de Philippe Faucon, a été sacré « meilleur film ».

Le symbole n’est pas mince. Fatima aurait pu ne jamais voir le jour. Philippe Faucon a dû faire preuve d’une déraisonnable opiniâtreté pour mener à terme son projet. La qualité du cinéaste et de ses précédents films n’y changeait rien : les financeurs intéressés ne se bousculaient pas. L’histoire d’une femme de ménage algérienne, interprétée par une inconnue effectuant dans le civil ce même métier, partagée entre son travail et sa vie de famille, avec ses deux filles qui tentent de s’en sortir, comment voulez-vous que ça intéresse le public ? Quelque 300 000 spectateurs s’y sont intéressés. C’est beaucoup moins qu’un score de cador, mais tout de même !

Peut-être les gens ont-ils vu que le regard porté par Philippe Faucon sur ses personnages, habituellement renvoyés à une identité unique et dévalorisée, leur octroie leur être entier, avec leur humanité, leur intelligence, sans jamais céder sur la complexité des situations ? Peut-être ont-ils été touchés par la douceur et le courage de Fatima et par le talent des trois interprètes, Soria Zeroual, Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin) et Kenza Noah Aïche ? Peut-être les mots de Fatima Elayoubi, qui résonnent dans le film et en ont constitué la trame (César de la meilleure adaptation), ont-ils élargi leur sensibilité ? En couronnant un très beau film, les votants peuvent se féliciter de ne pas avoir raté l’occasion de saluer toutes les Fatima du monde. Quand l’air du temps est putride, on ne rechigne pas devant un peu d’oxygène.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Pasolini, la conspiration du pétrole
Théâtre 5 décembre 2025 abonné·es

Pasolini, la conspiration du pétrole

Avec Pétrole, le metteur en scène Sylvain Creuzevault partage avec le public son goût pour l’œuvre de Pasolini, qui accompagne depuis ses débuts son aventure théâtrale. Un passionnant livre d’entretien mené par Olivier Neveux prolonge notre immersion sur la planète Singe, nom de la compagnie de l’artiste.
Par Anaïs Heluin
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff
« Mektoub my Love : Canto Due » : un bien sage retour
Cinéma 2 décembre 2025 abonné·es

« Mektoub my Love : Canto Due » : un bien sage retour

Sept ans après, Abdellatif Kechiche complète son triptyque.
Par Christophe Kantcheff
« Aïta – fragments poétiques d’une scène marocaine » : cris et miroitements
Exposition 28 novembre 2025 abonné·es

« Aïta – fragments poétiques d’une scène marocaine » : cris et miroitements

À Bordeaux, le Frac MÉCA reflète la vitalité remarquable de la scène artistique du Maroc – des années 1960 à aujourd’hui – via une exposition chorale qui s’articule autour de l’aïta, art populaire symbole d’insoumission porté par des femmes aux voix puissantes.
Par Jérôme Provençal