Le Théâtre de la Mauvaise Tête sur le billot

La municipalité comme la communauté de commune refusent de continuer à soutenir ce théâtre de service public à Marvejols, seule structure à rayonnement national de Lozère.

Ingrid Merckx  • 27 avril 2016 abonné·es
Le Théâtre de la Mauvaise Tête sur le billot
© Tristan Jeanne-Valès

Pour les lecteurs de Spirou, la « mauvaise tête », c’est un ballon. Un énorme ballon à l’effigie de Fantasio qui flotte au-dessus d’une vallée comme un mauvais présage… Plane un mauvais présage au-dessus du Théâtre de la Mauvaise Tête à Marvejols, ville de 5 000 habitants au cœur de la Lozère, département rural et le moins peuplé de France. Ce théâtre de service public, « le TMT », est menacé de fermeture depuis que la municipalité a annoncé qu’elle retirait sa participation de 60 000 euros à son budget annuel de 300 000 euros. Marvejols est frappé par un surendettement de 13 millions d’euros qui a entraîné, en juin 2015, le suicide tragique du maire, Jean Roujon, et en septembre 2015 la démission de son successeur, Jean-François Deloustal (divers droite).

En mars de la même année, la Lozère était le seul département français à passer à gauche. Depuis le 8 novembre, et pour la première fois en vingt ans, la ville est aussi dirigée par une équipe de gauche. « En matière culturelle, les choix semblent pourtant les mêmes, constate Jean-Pierre Kircher, président des Entêtés, collectif de quatre-vingts membres décidés à sauver le TMT, conseiller municipal dans une communauté de communes voisine. Les élus ne connaissent pas grand-chose à la culture ni aux institutions culturelles. Pour eux, c’est au mieux du divertissement. Ils ne voient pas l’intérêt de maintenir une offre proposant aux Lozériens de découvrir la création contemporaine. »

Pour preuve, un courrier de Rémi André, président de la communauté de communes du Gévaudan, censée compenser l’aide disparue de la Ville : « Nous sommes plusieurs élus à ne pas comprendre qu’il y ait besoin de quatre salariés pour gérer le théâtre sur un bassin de vie de 10 000 habitants. Il y a beaucoup d’autres associations aussi méritantes que le TMT, organisant des rencontres, des manifestations, favorisant la cohésion sociale, [et qui] sont pour la plupart encadrées et animées par des bénévoles. » Mais il n’y a pas d’autre établissement de ce type dans le département, et pas d’autre structure culturelle à Marvejols, hormis la bibliothèque et le cinéma. Ce qui n’empêche pas l’élu de brandir un argument massue : dans les transferts de compétences prévus par la loi NOTRe, la communauté de communes a d’autres priorités, à savoir le tourisme, la gestion des zones d’activités et le plan local d’urbanisme.

Le problème, c’est que les autres partenaires du TMT – l’État, la région et le conseil départemental – ne pourront continuer à le soutenir « en l’absence de partenaires institutionnels de proximité ». Une réunion avec tous les acteurs est prévue courant mai, mais la prochaine saison est déjà en suspens. Sans compter que l’actuel directeur, Thierry Arnal, a annoncé son départ. « Comment recruter un successeur sans garanties sur le budget ? », s’inquiète-t-il.

Une pétition signée par trois mille personnes alerte sur les conséquences d’une fermeture : « Pour nous publics, disparition d’une programmation annuelle de résidences et d’échanges avec des auteurs et des artistes. Pour nos enfants, l’abandon d’une ouverture à la pratique artistique. Pour nous éducateurs et animateurs, la suppression d’un travail de cohésion sociale avec les centres médico-sociaux, les maisons de retraite et les centres d’insertion. Pour nous dirigeants et bénévoles d’associations culturelles, la fin de partenariats riches en échanges et en motivation. Pour nous habitants, la perte de retombées économiques sur notre bassin de vie (hébergement, restauration, imprimerie, papeterie, commerce, prestations). » Thierry Arnal rechigne à évoquer les retombées économiques du TMT, qui n’a jamais connu de déficit. Pour lui, c’est une association ancrée dans ce territoire rural depuis 1975, qui s’est transformée en lieu de diffusion en 1991 et programme désormais aussi bien de la musique classique que de la poésie haïtienne dans une mission de service public.

« Les élus parlent d’ajuster l’offre à la demande. Mais la demande n’existe pas en matière de culture !, s’emporte Jean-Pierre Kircher. C’est l’offre qui crée les publics. » Quand Thierry Arnal a repris le TMT il y a vingt-cinq ans, il a développé le projet avec la mise en place d’une option théâtre au lycée Saint-Joseph, seul lycée de la ville, des interventions en milieu scolaire, des résidences avec des auteurs comme Laurent Gaudé ou Lydie Salvayre, et six spectacles par an en partenariat avec les Scènes croisées de Lozère, scène conventionnée itinérante. Le TMT s’est progressivement déplacé d’une salle de 68 places vers la salle polyvalente, et sa jauge est passée à 100, 120, 150 spectateurs par spectacle.

« Si le TMT disparaît, la scène conventionnée aussi, idem pour l’option théâtre. Aucun des autres lieux de diffusion du département ne reprendra sa programmation. Le théâtre de Mende ne programme que du divertissement », prévient Jean-Pierre Kircher. Ironie amère : c’est alors que le TMT monte en puissance que son avenir chancelle. À Marvejols, on entend ressurgir de vieilles lunes sur « l’élitisme » du théâtre. À l’heure de la faillite de la ville, on joue la concurrence avec la piscine et le club de foot. « Mais qu’est-ce que 60 000 euros pour une communauté de communes ?, interroge Jean-Pierre Kircher. Florac, ville de 2 000 habitants a attribué 200000 euros à son complexe culturel La Genette verte ! La question n’est pas financière mais politique. »

« Nous avons un territoire vaste et rural, et les mêmes droits à la culture que les personnes habitant les grandes villes », écrit une spectatrice au bas de la pétition. « Le TMT est le temple du théâtre en Lozère. Nous organisons des covoiturages depuis le pont de Montvert pour aller y voir des spectacles », ajoute un spectateur, quand une autre clame : « Tous mes souvenirs d’approche de textes de théâtre de l’absurde se trouvent ici. » Reste à savoir qui, parmi les partenaires, aura le courage de bloquer une fermeture qui n’a pas de sens.

Politique culturelle
Publié dans le dossier
Rideau sur le spectacle
Temps de lecture : 5 minutes