Luc Dardenne et la doxa

Propos du cinéaste après les attentats de Bruxelles.

Christophe Kantcheff  • 8 avril 2016
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Luc Dardenne et la doxa
© RiaNovosti/Ekaterina ChesnokovanJean-Pierre et Luc Dardenne

Jean-Pierre et Luc Dardenne font partie des très grands cinéastes d’aujourd’hui. Je suis loin d’être le seul à le penser, bien sûr, mais leurs films me sont d’autant plus précieux qu’ils témoignent d’un regard juste et sans l’ombre d’une condescendance envers leurs personnages. Ceux-ci sont tous issus de milieux populaires : un enfant se rebellant contre son père qui exploite des travailleurs sans papiers (La Promesse) ; un jeune adulte qui vend son bébé pour récupérer quelque argent (L’Enfant) ; une femme tentant de convaincre ses collègues de renoncer à une prime pour ne pas être licenciée (Deux jours, une nuit)…

Voilà pourquoi j’ai été particulièrement peiné de lire les propos de Luc Dardenne au lendemain des attentats de Bruxelles, recueillis par Les Inrockuptibles (du 30 mars). Autant le dire tout de suite : quelque chose ne colle pas entre ce que je vois dans leurs films, où se manifeste un esprit critique vis-à-vis des représentations dominantes et médiatiques, et ce qu’il exprime ici. Par exemple, Luc Dardenne reprend à son compte la phraséologie guerrière, bien qu’elle ne corresponde à nulle réalité sérieuse. En outre, selon lui, les musulmans « bougent encore trop peu ». Ils devraient affirmer que « leur religion n’est pas compatible avec cette violence terroriste ». Encore faudrait-il qu’ils aient « du courage ».Il révoque aussi « une certaine analyse de gauche disant que la radicalisation dépend de causes sociales ». « Le chômage est bien sûr un problème, continue-t-il, mais ne suffit pas à expliquer pourquoi on devient un tueur fanatique. » Voilà pour « une certaine analyse de gauche », dont seule sa caricature prétend que l’explication sociale est exhaustive.

Comment, lui, Luc Dardenne, ne voit-il pas que des populations fragilisées, méprisées, humiliées sont des proies pour les semeurs de haine ? Comment n’entend-il pas que les gouvernants ont, pour la plupart, substitué le discours identitaire, avec les oppositions et les conflits qu’il induit, aux préoccupations sociales, celles-ci débouchant au mieux sur des mesures cosmétiques ? Luc Dardenne dénonce la responsabilité de ceux qui « ne parviennent pas à désigner [l’islamisme] comme “notre ennemi” ». L’un des pères de Rosetta gagné par la doxa. C’est triste.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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