Sergio Coronado : « L’Assemblée, une sociabilité contrainte »

Les députés sont souvent critiqués pour leur entre-soi. Entre désaccords politiques et affects personnels, Sergio Coronado raconte la démocratie représentative au sein et hors de l’hémicycle.

Soizic Bonvarlet  • 27 avril 2016 abonné·es
Sergio Coronado : « L’Assemblée, une sociabilité contrainte »
© PATRICK KOVARIK/AFP

Parlementaire depuis 2012, l’écologiste Sergio Coronado a pour circonscription un vaste territoire qu’il connaît bien. Né au Chili, il grandit en Argentine à la suite du coup d’État de Pinochet, avant que sa famille n’émigre en France en 1982. Aujourd’hui député des Français établis hors de France, il couvre la zone géographique de l’Amérique latine. Mais c’est son quotidien au sein du microcosme qu’est le palais Bourbon que l’élu nous raconte, un espace de sociabilité à part, avec ses rapports humains complexes, ses intrigues de groupe et ses codes hiérarchiques.

Comment décrire la teneur des relations humaines à l’Assemblée, ce huis clos avec des collègues un peu particuliers, engagés dans le combat politique ?

Sergio Coronado Ce ne sont pas tout à fait des relations professionnelles, la politique n’étant pas un métier. Les groupes organisent la vie de l’Assemblée, ce sont des relations qui, avec le temps, prennent un peu de profondeur, mais pas tant que ça. On a des moments de vie commune, mais chacun vit sa vie. J’ai plus de relations avec les commissaires PS ou LR qu’avec une large partie de mon groupe que je ne vois jamais, d’autant que je ne participe plus aux réunions (rires). Et puis il y a la dimension affinitaire, l’histoire militante. Quand je suis arrivé, des ex-camarades de militance étaient déjà en place. Des gens que je connais depuis que j’ai 16 ans. En triant récemment des photos de mes 18 ans, ma mère s’est aperçue que, sur l’une d’elles, il y avait trois députés, qui devaient être Pascal Cherki, Daniel Goldberg et Pouria Amirshahi.

Comment appréhendez-vous la dynamique de groupe parlementaire ?

Au sein de mon groupe, j’ai une relation particulière avec Noël Mamère, avec qui j’ai travaillé. J’ai beaucoup d’estime pour lui, et il y a l’histoire commune d’une présidentielle, d’une campagne très dure, celle de 2002. Est-ce un ami ? Il y a de l’amitié, mais je ne dirais pas que c’est un ami, par un effet de génération notamment. J’ai des amis dans la militance : Cherki et Pouria, Christophe Borgel, Delphine Batho, Malek Boutih, que j’ai connus à SOS Racisme. Malek peut me faire sauter au plafond et, en même temps, on a cette histoire commune, ces liens forts.

Dans mon groupe j’ai une relation moins proche mais assez facile avec Cécile Duflot, on a été co-porte-parole des Verts ensemble. J’ai des relations distantes avec François de Rugy. Je le trouve cohérent mais je n’ai jamais accroché humainement. Alors même que le courant passe très bien avec un Jean-Frédéric Poisson, des Républicains, bien qu’idéologiquement nous soyons aux antipodes. Les affinités humaines ne se construisent pas -toujours sur les idées. Il y a des députés que je trouve précieux dans le débat, indispensables dans les rouages de la vie parlementaire. C’est très difficile avec Denis Baupin, mais je n’ai pas d’animosité particulière. Ce qui m’aide beaucoup en politique, c’est que je ne garde jamais rien sur le cœur.

Il y a aussi d’autres cadres à l’Assemblée. Je suis dans le jury du livre politique avec Claude Greff (LR), insupportable dans l’hémicycle. Eh bien, dans ce jury, on se fait rire et on fait des choix souvent pas très éloignés. Et il nous arrive parfois de trouver pénible d’être à table avec certains collègues, arrivés en cours de route… (rires). Avec Claude, qui a battu un écolo, on peut prendre un café et se raconter notre week-end.

Comment avez-vous vécu la scission du groupe écologiste ?

En politique, je n’ai jamais été à la tête d’une troupe. C’est très paradoxal, je fais de la politique depuis le berceau, et il y a une forme de contradiction à ne pas être grégaire. Je travaille ici depuis des années et j’ai dû déjeuner dix fois avec des collègues. La solitude ne me pèse pas, je ne me force pas. Concernant la scission du groupe, j’avais vu le coup venir, malgré une forme de dissimulation, de mauvaise foi, je n’ai pas voulu assister à cela. Je ne participais plus aux réunions depuis septembre. C’était déjà, de toute façon, un groupe qui n’en était pas un. J’ai une haute idée de la politique ; ce qui m’intéresse, c’est l’élaboration politique, le débat d’idées. Si ce n’est plus possible, pourquoi voir des gens que je n’ai pas choisis ?

Mais je suis attaché à cette maison, l’Assemblée nationale, même si la politique se fait de moins en moins ici. Il y a des parlementaires très connus à l’extérieur qui ne pèsent rien dans le débat parlementaire, qu’on ne voit jamais. Je nourris une forme de respect à l’égard des rouages anonymes de la vie démocratique, institutionnelle.

Avez-vous des amis de droite ?

Non, je ne crois pas.

Pourquoi ? Par principe ou manque d’occasion ?

Plutôt par manque d’occasion, le fait que je ne sois pas très grégaire, encore une fois. Avec Jean-Frédéric Poisson et Philippe Gosselin [deux députés LR qui ont manifesté la plus grande hostilité envers la loi sur le mariage pour tous, dont Sergio Coronado était l’un des principaux défenseurs, NDLR], j’entretiens d’excellents rapports. On se parle à la buvette des députés. J’appartiens à la commission des lois, prestigieuse, ce qui facilite le contact.

Des parlementaires socialistes femmes m’ont dit que les ministres ne leur parlaient pas. Moi, en tant que député de l’étranger, je voyage avec eux, ça brise la glace. Il existe une hiérarchie interne entre les ex-ministres et les députés qui n’ont jamais été que députés, ou encore selon l’appartenance à telle ou telle commission plus ou moins prestigieuse. Il y a « l’aristocratie parlementaire » et il y a les autres.

Tout cela se mélange dans une apparence d’égalité qui n’existe pas. Et puis il y a le sexisme. Des choses qui sont tolérées, une sorte de complaisance, d’omerta parfois. De la part des femmes visées, la peur de rompre le silence, un sentiment que ce sont les mœurs du milieu, qu’il faut faire avec. Il s’agit de rapports de très grande domination. Une licence dans le langage à connotation sexuelle. Vous êtes dans un avion présidentiel et quelqu’un dit : « Elle est comment, la p’tite ? » Un rapport de mâle dominant, notamment à l’égard de jeunes élues. Or il ne s’agit pas de relations personnelles, mais d’un système. Le combattre revient à s’en exclure. De même qu’un attaché parlementaire ne porte pas plainte aux prud’hommes par peur d’être black-listé. C’est très étonnant, surtout en étant issu d’une formation politique qui n’est pas exempte de machisme mais dont la culture paritaire a permis de tarir ces mauvais réflexes, d’écraser ce sexisme ordinaire.

Quelle influence les affects, affinités et inimitiés personnelles ont-ils sur le travail d’un élu, ses positions, sa stratégie ?

Cela doit jouer, mais peu me concernant. Christiane Taubira a été attaquée par des gens de droite pendant les débats sur le mariage pour tous, et les mêmes, une fois la séance levée, allaient la saluer, lui faire des ronds de jambe. Si Emmanuelle Cosse et Cécile Duflot avaient à débattre dans le même hémicycle sur le logement, ça ferait des étincelles.

Et puis il y a le débat qui se prolonge sur les plateaux. Sandrine Mazetier, avec qui je m’entends très bien par ailleurs, m’avait reproché d’avoir été rude avec elle lors d’une émission, en me disant : « Quand même, on est potes…» Moi, je fais la part des choses entre une manière franche de dire les choses et les affects. On fait de la politique.

Est-ce à dire qu’il existe chez certains élus une confusion entre la sphère intime et l’arène politique, les affinités personnelles et les désaccords idéologiques ?

Une émission de débat, c’est du ping-pong : si vous n’avez pas le rythme, vous perdez du terrain. Il faut savoir renvoyer la balle. Il y a des stratégies de débat qui s’opèrent. Sandrine autorise la rudesse parce qu’elle est rude elle-même. Cela dit, on peut débattre, même très franchement, tout en se respectant. Il doit y avoir un cheminement commun pour éclairer le débat public. Ce n’est pas un match de boxe.

Que pensez-vous du fait qu’une entente un peu trop cordiale entre individus engagés dans des camps opposés soit souvent réprouvée, qu’un tutoiement sur un plateau télé puisse être mal perçu, considéré comme une marque de connivence ?

Il y a en effet de la connivence, mais elle tient à autre chose. Quand on partage les mêmes lieux, cela crée une connivence, comme dans une entreprise. Le problème n’est pas cette forme de connivence, mais l’entre-soi. Le sentiment que tous ces gens appartiennent au même monde, qu’ils se protègent, droite et gauche confondues, viennent des mêmes quartiers, des mêmes écoles. Et de fait, quand vous regardez le recrutement de l’Assemblée, c’est d’une étroitesse sociologique extraordinaire. Seuls quelques-uns échappent aux filtres. Le tutoiement, cela m’est arrivé. Quand on se connaît depuis des années, c’est inévitable, y compris avec des journalistes. À une époque, je connaissais tous ceux qui couvraient les Verts : j’avais même été au lycée avec certains.

La vie des partis, de l’Assemblée, c’est une sociabilité très contrainte. J’essaie de m’en extraire. J’ai la chance d’être dans une circonscription où je ne croise pas d’autres députés. J’ai fait une partie de mes études dans le -Quartier latin, réservoir d’élites : si, en plus, mes amis sont parlementaires ou journalistes… Cela dit, à l’un de mes derniers anniversaires, il y avait quatre journalistes et une sénatrice. On n’y échappe pas toujours, mais il faut avoir ce souci de diversification. On vit dans des mondes très clos. Une différence avec beaucoup de mes collègues, c’est que les ors de la République n’ont pas d’effet sur moi. C’est surtout un clin d’œil à l’histoire d’être devenu député d’une région où je suis né, après avoir été étranger en France. Je crois que, pour une partie de la droite, c’est insupportable de m’avoir pour collègue.

Qu’aviez-vous pensé du procès fait à Jean-Luc Mélenchon par une chaîne du service public à propos d’un échange prétendument complice qu’il avait eu avec Marine Le Pen, sa collègue au Parlement européen (redite en quelque sorte de la polémique autour de sa présence lors de la remise de la Légion d’honneur à Patrick Buisson en 2007) ?

Être présent à la légion d’honneur de Buisson et adresser la parole à Marine Le Pen dans un couloir sont deux choses différentes. Dans le premier cas, ça dénote une proximité particulière. Moi, je parle à tout le monde, mais je ne suis pas sûr d’avoir la capacité de développer une proximité. Au début du quinquennat, un journal avait titré sur les « jolies députées », et un média en ligne avait recensé les « jolis députés ». Dans la foulée, 20 Minutes avait fait un sondage pour élire « le plus beau couple ». C’était Marion Maréchal et moi ! Quand on se croisait salle des quatre colonnes, on s’évitait pour ne pas qu’une photo sorte. Mais je n’ai pas de rapport particulier avec elle – elle est d’ailleurs assez timide. À la cantine de l’Assemblée, je ne cherche pas naturellement à m’asseoir près d’elle. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne pourrait pas avoir un échange.

J’ai grandi sous deux dictatures, au Chili et en Argentine. À mes yeux, ce qui caractérise la démocratie, c’est la possibilité de pousser très loin le conflit sans pour autant vouloir l’anéantissement de l’autre. Et cela se traduit de façon très concrète dans mon quotidien au Parlement. Il est impensable qu’on vienne m’interdire l’échange, le dialogue. Je ne recherche pas forcément la compagnie de ces gens-là, mais, Collard, étant souvent brocardé, une fois je lui ai dit : « Je ne comprends pas pourquoi les socialistes te jettent en permanence l’opprobre, ils ne cessent de s’inspirer de tes propositions. » Il s’était empressé de s’en féliciter le soir même dans une émission. Il peut être un peu lourdaud…

Lors de vos échanges avec Jean-Frédéric Poisson en dehors de l’hémicycle, en dépit d’une entente cordiale, n’y a-t-il pas des moments où l’idéologie – ses positions contre l’IVG ou la PMA – reprend le dessus ?

C’est quelqu’un de croyant et j’ai du respect pour la sincérité de ses engagements. Ce qui me hérisse au plus haut point, c’est le cynisme. Je pense qu’à droite, notamment dans cette frange la plus radicale, il y a des gens qui ont des convictions profondes, qui ne sont pas les miennes mais que je respecte. J’estime qu’il y a un appauvrissement à ne fréquenter que des gens qui pensent comme vous.

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