Smadj : « Le musicien se retrouve très seul »

Les mêmes têtes d’affiche dans les festivals, des programmations qui se réduisent, un moindre soutien à la nouveauté… Le oudiste Smadj témoigne des difficultés croissantes du métier.

Ingrid Merckx  • 27 avril 2016 abonné·es
Smadj : « Le musicien se retrouve très seul »
© Aurore Vinot

« Cela fait quatre, cinq ans que c’est vraiment dur », reconnaît Jean-Pierre Smadja, dit « Smadj », oudiste qui a débuté sur les scènes électro-jazz et musiques du monde il y a vingt-cinq ans. « Non seulement le volume global de concerts se réduit pour tout le monde, mais les festivals resserrent leur programmation : ils cherchent la sécurité en termes de remplissage. Ce sont les mêmes têtes d’affiche qui tournent sur les plus grands -festivals de l’été. Les autres, même très connus, doivent accepter des conditions de travail au rabais. Les festivals abandonnent leur vocation de découverte de talents ou de programmation d’artistes de moindre notoriété. Cela concerne aussi les projets de résidence : toute idée d’association de musiciens pour croiser des répertoires, essayer de nouvelles choses, a moins de chances d’aboutir. L’accès aux maisons de disques, aux producteurs, aux tourneurs et aux aides que proposent des sociétés d’auteurs comme la Spedidam et l’Adami est beaucoup plus difficile. Le musicien se retrouve très seul. »

Ayant beaucoup travaillé à l’étranger, Smadj a été intermittent… par intermittence. « Pour moi, ce régime a très bien fonctionné au tout début. Le premier album de “Duoud”, un duo de ouds avec mon collègue Mehdi Haddab, et mon premier album, très bien classé aux world charts, m’ont permis de me faire connaître et d’enchaîner deux tournées mondiales. J’avais alors un volume de concerts très important. Mon premier album a été produit en Angleterre, comme les deux suivants, et le quatrième en Turquie. Il y a à l’étranger une curiosité musicale plus importante qu’en France. Les musiciens ne bénéficient pas d’un régime comme celui des intermittents ; nombre d’entre eux ont un autre métier à côté, et la musique est un secteur bien moins aidé qu’en France. En revanche, quand le privé – maison de disques ou festival – s’empare d’un projet, les conditions financières sont beaucoup plus intéressantes. »

« La France reste un pays de culture, poursuit le musicien, mais les structures sont peu réactives, avec des programmations bouclées à l’avance, et les perspectives sont de plus en plus limitées, encore davantage pour les artistes au répertoire francophone. »

Smadj a beaucoup joué pour les instituts français à l’étranger. « Pour eux, les coupes budgétaires ont commencé sous la présidence de Nicolas Sarkozy. » C’est quand même ce réseau qu’il a relancé dans la perspective d’une tournée-résidence autour de son projet solo, « Oud Solotronic » : « L’idée étant de jouer avec les musiciens locaux certains de mes titres et certains des leurs, et de faire un concert et des enregistrements ensemble. » Trois jours en Ouganda, une semaine au Kenya… Sa tournée, qui se poursuit début mai en Afrique de l’Est, prend la forme d’un carnet de route avec extraits vidéo en ligne.

L’album précédent de Smadj, le septième (et le second réalisé en France), n’a pas débouché sur un nombre de concerts suffisant. Lui qui avait toujours pu jouer sous son nom et avait collaboré avec des musiciens comme Mehdi Haddab, Magic Malik, Stefano Di Battista, Erik Truffaz ou Ibrahim Maalouf a commencé à s’inquiéter sérieusement. « J’ai dû me résoudre, alors que ma notoriété grandissait, à accepter des cachets et des conditions de travail comparables à ceux de mes débuts. »

Dans les clubs, la situation est pire qu’il y a vingt ans : « Non seulement les cachets n’ont pas augmenté, mais il devient de plus en plus difficile d’y jouer. Dans les clubs parisiens, c’est presque impossible, ou alors à des tarifs si bas que cela ne rapporte rien. Les musiciens y vont quand même pour une sortie de disque ou pour continuer à exister sur scène. » Lui récuse l’idée qu’il y aurait eu un âge d’or dans les années 1980-1990 : « Il fallait beaucoup se battre pour réunir les musiciens avec qui -réaliser un album, trouver un studio, une maison de disques, un tourneur… Cela marchait très bien pour ceux qui étaient repérés, mais il fallait faire partie des élus. Aujourd’hui, on peut beaucoup plus facilement réaliser un album et le diffuser. Avec les réseaux sociaux, chacun a l’impression de pouvoir exister comme musicien. Mais le volume de projets de qualité n’a pas augmenté. Comme pour la presse ou le cinéma, la gratuité change le rapport à la musique. Il faut trouver d’autres moyens de la vendre. »

En outre, reprend Smadj, « l’artiste qui doit être son propre producteur et tourneur est obligé de tenir compte du marché, alors qu’a priori ça n’est pas son travail. Son travail à lui, c’est de créer des temps où éveiller l’imagination. La nécessité de connaître le marché nuit à la création. L’impératif de devoir gérer sa carrière a forcément des incidences : on passe plus de temps à essayer de s’en sortir qu’à travailler la pertinence de son propos ». Son projet actuel, qu’il a conçu seul et parce qu’on lui réclamait une performance solo, est heureusement porteur de promesses artistiques. De quoi reprendre des forces.

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Rideau sur le spectacle
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