Loi travail : Grève à tous les étages

Après les manifestations de rue et l’émergence des Nuits debout partout en France, le mouvement social contre la loi travail franchit un cap : l’appel à la grève reconductible.

Vanina Delmas  • 18 mai 2016 abonné·es
Loi travail : Grève à tous les étages
© JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

« La mobilisation, on la voit dans la rue mais elle est moins visible dans les entreprises », affirmait Philippe Martinez le 11 mai. Le secrétaire général de la CGT est resté fidèle à sa ligne de conduite depuis le début du mouvement contre le projet de loi travail : amplifier les grèves, mais laisser la décision aux salariés. Malgré l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi, les sept syndicats habituels (CGT, FO, FSU, Solidaires, l’Unef, l’UNL et Fidl) ne renoncent pas. Ils appellent « à construire » deux journées de mobilisation, les 17 et 19 mai, pour « amplifier la manifestation face au déni de démocratie ». L’utilisation du 49.3 et les interdictions de manifester à l’encontre de certains militants, dans le cadre de l’état d’urgence, ont incité de nouvelles professions à entrer dans la danse.

Plus de deux mois après les premières manifestations, une nouvelle phase de la contestation prend forme, et des revendications propres à chaque secteur se greffent au refus de la loi El Khomri. Routiers, cheminots, dockers, facteurs, personnels des hôpitaux, des aéroports, de la RATP… Au fil des jours, la liste des secteurs appelant à la grève s’est considérablement allongée. Un rebond nécessaire car les étudiants entrent dans leur période d’examens, les violences des « casseurs » ou des policiers refroidissent aussi de plus en plus de personnes, et certains salariés ne peuvent plus se permettre financièrement de se mettre en grève pour participer aux manifestations.

Les transports routiers ont donné le top départ de cette intense semaine sociale. Les Fédérations des transports FO, CGT et SUD ont lancé un appel à un mouvement de grève reconductible dès le lundi 16 mai. Point de friction : l’inversion de la hiérarchie des normes qui influera sur le paiement des heures supplémentaires, particulièrement importantes dans cette profession. « La loi El Khomri permettra aux entreprises de diminuer la rémunération de ces heures à 10 %, expliquait Jérôme Vérité, secrétaire général de la CGT-Transport sur France Info. Pour un conducteur faisant 200 heures mensuelles, c’est 1 300 euros de moins sur la fiche de paie. » L’article 2 du projet de loi prévoit en effet qu’un accord d’entreprise pourra s’appliquer à la place de l’accord de branche actuel, lequel garantit que toute heure supplémentaire doit être payée 25 % de plus qu’une heure classique. Des barrages filtrants et des opérations escargots ont ciblé des axes stratégiques (Marseille, Bordeaux, Nantes, Caen…) et les alentours des ports du Havre et de Saint-Nazaire.

De son côté, la Fédération des syndicats maritimes CGT appelait « tous les marins, embarqués, en congés, de la pêche, du commerce, des services portuaires, les personnels sédentaires de tout horizon et également les pensionnés », à se mobiliser « en multipliant des actions fortes […] et en n’hésitant pas à faire des grèves reconductibles ou des grèves illimitées », à partir du mardi 17 mai. « Nous sommes régis par le code des transports, tiré du code du travail, donc il y aura forcément un impact sur les marins », souligne Michel Le Cavorzin, son secrétaire général. Les raffineries, autre secteur clé de l’économie du pays, sont aussi décidées à participer au mouvement, notamment celle de Donges (Loire-Atlantique). « Aucune goutte de carburant ne sortira de la raffinerie […]. C’est l’ensemble de la Bretagne qui ne sera plus alimentée en essence », a déclaré Fabien Privé Saint-Lanne, secrétaire CGT de la raffinerie de Donges, au micro d’une radio locale.

Une telle tentative de blocage de l’économie était attendue depuis des semaines par une poignée de syndicalistes CGT et SUD qui avaient lancé, dès le 22 mars, l’appel « On bloque tout ». Décrivant la loi El Khomri comme « une insulte au monde du travail », le texte s’est répandu au sein des entreprises et a recueilli 1 500 signatures de syndiqués (CGT, Solidaires, FSU, CNT, CNT-SO, FO, CFDT, LAB, UTG, Confédération paysanne, USP…). Un soutien que les étudiants et les manifestants des premiers jours espéraient, mais qui tardait à venir. Le mouvement Nuit debout a rapidement adhéré à l’idée de la convergence des luttes, intégrant la nécessité de viser des cibles concrètes pour tenir sur la durée. Ainsi, des centaines de personnes se sont rendues à la Vallée Village, dans le centre commercial Val d’Europe (Seine-et-Marne), pour dénoncer le travail du dimanche dans cette zone touristique internationale. Autre convergence indirecte, et inattendue, des mobilisations contre la loi travail : les policiers aussi manifestent, le 18 mai, contre la « haine anti-flic ».

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