Prince : Cadeau d’adieu

L’ultime album de Prince est dans les bacs depuis une semaine. L’occasion de rendre un nouvel hommage à cet artiste génial, éclectique et insatiable.

Pauline Guedj  • 4 mai 2016 abonné·es
Prince : Cadeau d’adieu
© BERTRAND GUAY/AFP

La mort de Prince a provoqué d’innombrables réactions. Des fans, d’abord, qui se sont rassemblés par centaines dans des lieux emblématiques. Une foule devant Paisley Park, à Minnea­polis, où Prince a enregistré certains de ses plus beaux albums ; une marée humaine au First Avenue, le club où il a tourné Purple Rain. Et, à New York, une dance party improvisée à l’Apollo Theater. Réactions ensuite de ses anciens collaborateurs, qui, sur les réseaux sociaux, ont exprimé leur tristesse et projeté de reformer les groupes du passé comme celui emblématique des années 1980 : The Revolution. Réactions enfin d’artistes a priori moins associés à la galaxie princière, et qui depuis ce jour d’avril ne cessent de reprendre ses morceaux : Stevie Wonder et D’Angelo, gorge nouée, Pearl Jam, ou encore Bruce Springsteen, qui, le samedi suivant à Brooklyn, sous des lumières violettes, ouvre son concert par une version habitée de Purple Rain.

Le fait que des artistes si différents saluent l’œuvre de Prince avec tant d’émotion s’explique en partie par son éclectisme. Chez lui, il y en a toujours eu pour tout le monde : pour les amateurs de funk, pour ceux qui, venus du jazz, cherchent dans la musique liberté et improvisation, pour ceux qui aiment les guitares saturées. Prince a toute sa vie transcendé les styles. En témoigne la dernière année de son existence. Il y a presqu’un an, l’artiste entamait une tournée aux États-Unis dans laquelle il était accompagné par son groupe, 3rdEyeGirl, une bassiste, une batteuse, une guitariste, au pedigree profondément rock. Le musicien revisitait ses classiques, donnant un coup de jeune à certains titres, comme « Let’s Go Crazy » dans une belle version blues. La tournée connut de grands moments. Un concert à Washington où fut invité sur scène pendant près d’une heure l’immense Stevie Wonder. Un autre à Baltimore, au lendemain des émeutes qui divisèrent la ville.

Après la tournée, c’est un disque qui allait suivre, Hit n Run Phase 1, dans lequel l’artiste fricotait cette fois-ci avec la musique électronique. Âpre, le disque en a agacé certains à sa sortie, mais il reste une vision audacieuse des liens entre funk et électro, avec plusieurs très bons morceaux, dont celui qui le clôt, « June ». Pour la fin 2015, Prince avait annoncé une série de concerts seul au piano. Le Palais Garnier avait été réservé, mais la soirée finalement annulée après les attentats du 13 novembre. Suivent alors quelques dates dans cette configuration en Australie et aux États-Unis. Les enregistrements qui circulent sur le Net laissent entrevoir un artiste au sommet, jonglant avec une aisance folle dans les entrailles de son répertoire.

Dans les bacs depuis le 29 avril, Hit n Run Phase 2 vient prolonger un peu cette dernière année de la vie de Prince. Disponible depuis quelques mois sur les plateformes de téléchargement, l’album remplace les sons électroniques du premier opus par une texture organique funky et subtilement jazzy, tout en basse et cuivres.

Le disque s’ouvre avec « Balti­more, protest song », sophistiqué à souhait, puis enchaîne les titres dansants et langoureux. « 2Y.2D » et son introduction à la « Proud Mary », « Stare »et sa ligne de basse à tomber, « Extraloveable » qui fera rougir de plaisir les fans de la première heure, « Black Muse », ses orgues et ses batteries d’une rare élégance, « When She Comes », ballade en apesanteur, la perle du disque, et « Big City », peut-être le plus beau finale d’un album de Prince depuis The Rainbow Children, chef-d’œuvre de 2001.

Album testament à son insu, Hit n Run Phase 2 est un dernier cadeau. Un voyage joyeux conclu pourtant par cette phrase tristement prophétique : « That’s it. » C’est fini. Prince est mort et c’est peu dire qu’il va nous manquer.

Musique
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