Vichy, la mémoire empoisonnée

Le documentaire de Michaël Prazan que diffuse France 3 montre pourquoi et comment le pouvoir politique a longtemps occulté la persécution des juifs et la « collaboration ». Un rappel utile.

Claude-Marie Vadrot  • 14 mai 2016
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Vichy, la mémoire empoisonnée
© Photo: Philippe Pétain lors de son procès en 1945 (DR)

Les premières images rappellent que la France savait prévenir les désirs de ses occupants allemands. Elles montrent François Hollande, commémorant le 22 juillet 2012 les arrestations massives de juifs parisiens connues sous le nom de « Rafle du Vel’d’Hiv ». Rassemblés en bus dans cette agora sportive – un vélodrome d’hiver démoli en 1959 – les juifs, femmes, enfants et hommes, arrêtés dans la capitale, y furent enfermés avant d’être expédiés vers les camps de la mort. Une horreur qu’une partie de la France a longtemps oubliée ou niée : « La vérité est dure et cruelle, rappelle Hollande. Pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour ce crime en France, commis par la France. » Et le film renvoie immédiatement et brutalement ceux qui ont toujours voulu ou préféré en douter à d’autres images: celles de policiers parisiens faisant avec un bel ensemble le salut nazi avant d’être vite réhabilités par le courage de quelques uns d’entre eux à la Libération de Paris…

Tout est déjà dit ou presque. Il ne reste plus au film, images d’époque et interviews d’aujourd’hui à l’appui, qu’à montrer combien sont peu convaincantes les légendes complaisamment répandues après guerre pendant des dizaines d’années : celles qui font du Maréchal Pétain non un traître mais un bouclier « limitant les dégâts » face aux Allemands, dont les « collaborateurs » s’efforçaient discrètement de protéger des « juifs français » . Comme le rappelle Robert Badinter, « constitutionnellement, la France est devenu un Etat fasciste du jour où les pleins pouvoirs ont été accordés au Maréchal » par une majorité de parlementaires français, le 10 juillet 1940, seuls 80 sur 649 ayant refusé de les voter.

Le zèle pour complaire aux nazis

Les images montrent ensuite une France, à la tête et dans les rouages de laquelle les beaux et jeunes arrivistes sans scrupules (ressemblant à certains contemporains…) redoublent de zèle. De plus en plus fréquemment, qu’il s’agisse des juifs, de la Milice, des haines raciales, de la répression, les décisions de l’Etat français devancent les désirs ou les ordres de l’occupant. Et, comme l’explique encore Badinter dans une litote implacable : 

L’immense majorité de la population française n’a pas eu une attitude exemplaire.

Or cela ne s’est pas traduit par une épuration féroce à la Libération. La « justice » expéditive n’a fait, dit le commentaire, qu’une dizaine de milliers de morts et il n’y eût que 767 personnes officiellement fusillées après jugements. Et surtout, le documentaire insiste longuement sur ce point, des dizaines de milliers de petits et hauts fonctionnaires, des policiers, des magistrats sont passés tranquillement d’un régime à l’autre. Comme le préfet Maurice Papon qui organisa les arrestations des juifs de la région de Bordeaux avant de faire massacrer les travailleurs algériens dans Paris en octobre 1961.

Le mythe d’une France résistante

Mais le général de Gaulle avait imposé au lendemain de la guerre le mythe d’une France majoritairement résistance et la plupart des partis politiques l’ont suivi dans cette amnésie collective et la perpétuation de ce « roman national » mystificateur. Jusqu’au jour où l’historien américain Robert Paxton, dans « La France de Vichy » publié en 1974, commence à contester, preuves à l’appui, les vérités et mensonges officiels. Il n’est bientôt plus seul à bousculer les certitudes françaises. D’autres ouvrages paraissent, sur lesquels des associations s’appuient pour mener le combat contre la falsification et le déni. Ils vont conduire Jacques Chirac, fraîchement élu président de la République à admettre le premier, en juillet 1995, que la rafle du Vel’d’Hiv fut bien un crime français. 

La thèse du bouclier, « en laisser tuer pour en sauver quelques uns », avait vécu. Sauf pour les deux incurables que sont Jean-Marie Le Pen et Eric Zemmour qui maintiennent devant les caméras la fable vichyssoise, en dépit de leur différence de génération. Preuve que Vichy, cette« part maudite de l’histoire de France », subsiste encore.

Vichy, la mémoire empoisonnée, un film de Michaël Prazan (90 mn), Lundi 16 mai 20h55, France 3.

Idées
Temps de lecture : 4 minutes
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