Assurance chômage : le paritarisme est mort

Sur fond de mobilisation contre la loi travail, le patronat a bloqué les négociations de l’assurance chômage avec des propositions provocatrices. Le gouvernement appelle à de nouvelles négociations en septembre.

Ingrid Merckx  et  Erwan Manac'h  • 15 juin 2016 abonné·es
Assurance chômage : le paritarisme est mort
© ERIC PIERMONT/AFP

Dernière minute : Le ministère du Travail a pris acte ce jeudi de l’échec des négociations sur l’assurance chômage. Il annonce une prolongation des règles actuelle, transpose dans la loi l’accord sur le régime des intermittents et « constate que l’attitude du patronat a conduit au blocage ». De nouvelles négociations doivent s’ouvrir à la rentrée. //

Les négociations explosives sur l’assurance chômage prennent fin ce 16 juin. Dans l’indifférence générale et dans l’ombre du mouvement contre la loi travail, qui a fait l’objet d’une grève nationale deux jours avant. Le jeu de rôles a été savamment orchestré par le Medef, avec le soutien de la CFDT. Propositions chocs, menaces de retrait : avec l’assurance qu’il avait le gouvernement dans sa poche, le syndicat patronal a mené sa stratégie habituelle, demander l’inconcevable. « Le Medef veut tout !, peste Éric Aubin, secrétaire confédéral de la CGT. “Si je n’obtiens pas ce que je demande sur la loi travail, je bloquerai la négociation sur l’assurance chômage”, avait-il prévenu. » Le billard à trois bandes – « je te donne ça, tu me donnes ça » – n’est un secret pour personne : c’est le mode de fonctionnement par chantage du syndicat des patrons, qui garde les pleins pouvoirs à la table des négociations.

Concernant l’assurance chômage, c’est le Medef qui arrête le lieu des négociations : l’Unédic, caisse qui gère l’assurance chômage, se réunit à son siège, avenue Bosquet à Paris. C’est aussi le Medef qui préside toutes les négociations. C’est lui qui écrit les textes servant de base aux discussions. Enfin, en s’assurant 50 % des voix, le Medef a le droit de veto sur tout. Si un autre partenaire quitte la table, les autres peuvent continuer sans lui. Si le Medef quitte la table, le match est terminé. C’est bien ce qui se profile pour la nouvelle convention Unedic censée prendre effet le 1er juillet : « Le Medef a annoncé le 13 juin qu’aucune des propositions pour la nouvelle convention ne convenait. Il a constaté l’échec de cette négociation, dont il porte en partie la responsabilité », déplore Éric Aubin.

Et maintenant ? La balle est dans le camp du gouvernement. Le plus vraisemblable serait qu’il proroge l’actuelle convention sur l’assurance chômage, reportant ainsi de nouvelles négociations à l’après-présidentielle de 2017. Il peut aussi arbitrer dans le sens du Medef et valider des droits régressifs pour les demandeurs d’emploi et les salariés. Il peut enfin donner le change en portant à 100 millions d’euros le montant de son soutien aux annexes 8 et 10 concernant les intermittents, et prétendre ainsi qu’il abonde dans leur sens quand il répond à une demande du Medef et de la CFDT : progresser vers la création d’une caisse autonome pour les professionnels du spectacle. Le tout en s’évitant les risques de blocage de festivals cet été. Une nouvelle fois, les intermittents jouent le rôle de révélateurs d’un affrontement qui concerne tous les salariés et demandeurs d’emploi entre la flexibilité néolibérale défendue par le Medef et l’alternative « flexisécurité » de leurs propositions qui pourraient servir à toutes les activités réduites et s’étendre à d’autres professions. En faisant de l’État le garant du dernier régime d’activités réduites, le Medef fragilise ce dernier – au moindre changement de politique, l’enveloppe peut tomber – et casse la solidarité interprofessionnelle.

Ce qui se joue le 16 juin, c’est moins la rédaction d’une nouvelle convention, car la solution sera très provisoire, que le dernier acte d’un drame où le paritarisme se meurt. Tant que les règles ne changent pas, le Medef mène son monde. « Pire ! Il rackette le gouvernement », s’exclame Samuel Churin, de la Coordination des intermittents et précaires, qui n’hésite pas à parler de « système mafieux ». « Tout le monde sait que les dés sont pipés et fait pourtant comme si le dialogue était possible, poursuit-il. Les négociations sont censées se tenir entre représentants des salariés et des employeurs et, au final, c’est un “deal” entre le patron du Medef, le ministre du Travail et le Premier ministre, avec des gros sous à la clé. » Y compris pour les syndicats de salariés, la gestion des caisses leur rapportant bien plus que leurs adhésions. Mais qui décide vraiment ? Les partenaires sociaux ? Le gouvernement ? Ou le Medef ?

Que propose le patronat ?

Le Medef, sans surprise, a abordé les négociations le 22 février sur une position provocatrice. L’Unédic, l’association qui gère l’assurance chômage, présente des comptes dans le rouge vif (4 milliards de déficit annuel et une dette cumulée de 29 milliards fin 2016). Pour éponger ces dettes, le Medef a présenté différents stratagèmes visant à réduire le montant des allocations. Il propose ainsi de moduler le montant de l’indemnité en fonction du taux de chômage (l’allocation baisserait en cas de baisse du taux de chômage national). Il suggère de baisser l’allocation des chômeurs qui ne justifient pas d’une « recherche active » d’emploi. Il prône une baisse d’indemnisation des personnes alternant chômage et courtes périodes de travail et veut réduire à deux ans la durée d’indemnisation des 50-55 ans, contre trois ans actuellement. Bref, aux chômeurs de payer le trou de l’assurance chômage.

Le Medef est aidé dans sa croisade par le lobbying de la Commission européenne qui recommandait à la France, en juin 2015, d’« entreprendre une réforme du système d’assurance chômage afin d’en rétablir la viabilité budgétaire ». Elle a été suivie début 2016 par la Cours des comptes, partisane d’une baisse pure et simple du niveau d’indemnisation. « La dégressivité est un chiffon rouge qu’agite le patronat. Cela choque tout le monde, mais nous craignons que cela ne serve à faire passer une baisse générale de la durée d’indemnisation de quelques mois, analyse Pierre-Édouard Magnan, du Mouvement national des chômeurs et précaires. Cette proposition est moins impopulaire, car la majorité des gens ne se sentent malheureusement pas concernés par le chômage de longue durée. »

En revanche, la dégressivité a déjà fait la preuve de son inefficacité à lutter contre le chômage. « La France l’a appliquée de façon très marquée dans les années 1990 et les études ont montré qu’elle aurait ralenti fortement le retour à l’emploi », note Bruno Coquet, économiste. Nul doute en revanche que cela ne contribue à renflouer les caisses de l’assurance chômage, « comme une sorte de taxe déguisée sur les chômeurs », pointe l’expert associé à l’Institut de l’entreprise.

Quelle alternative ?

Les propositions chocs du Medef occultent une autre donnée intangible : l’assurance chômage est excédentaire ! Les cotisations patronales et salariales couvrent en effet plus que le montant versé en allocations. Si les comptes de l’Unédic sont déficitaires, c’est, pour la Cour des comptes, en raison de l’explosion des CDD.

Ces précisions en tête, les syndicats proposent d’augmenter les cotisations sur les contrats courts. Les CDD sont en effet taxés au même niveau que les contrats longs, mais coûtent beaucoup plus cher à l’Unédic, car ils maintiennent les salariés dans le chômage partiel. Leur taxation permettrait, selon les calculs de la CGT, de dégager 1 à 1,5 milliard de recettes nouvelles. Il pourrait notamment s’agir d’une taxation dégressive : plus l’entreprise a recours à des contrats longs, plus ses cotisations baissent.

Que dit le gouvernement ?

Ces négociations ont donné lieu à un bras de fer stérile, sur fond de mouvement social contre la loi travail. Le patronat refusant la moindre concession. Le Medef a d’abord compté sur une stratégie du pourrissement, car c’est le gouvernement qui reprend la main en cas d’échec des négociations au 30 juin. Et la ministre du Travail, Myriam El Khomri, donnait des gages au patronat fin février affirmant que le gouvernement « prendrait ses responsabilités » et envisageait la dégressivité des allocations. Or, depuis, le mouvement social a légèrement infléchi sa position. Le 17 mars, la ministre pointait les « employeurs qui font des contrats particulièrement courts » et les « ruptures conventionnelles », pour expliquer le déficit de l’Unédic.

« La seule éclaircie du moment, c’est le mouvement social. Car tout ce qui se passe au gouvernement ou lors des négociations nous entraîne vers le toujours moins-disant, se résigne Malika Zediri, de l’Association pour l’emploi, l’information et la solidarité (Apeis). Nous portons une logique opposée à la sienne. À commencer par le constat de départ : il n’est pas normal que moins d’un chômeur sur 2 soit indemnisé, comme c’est le cas aujourd’hui. »

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