Google veut bien déréférencer mais pas partout

Le bras de fer concernant l’application du droit à l’oubli continue entre la CNIL et Google. Pressée par l’autorité française de définitivement déréférencer certaines données personnelles dommageables, la firme de Mountain View biaise en affirmant qu’une telle pratique porterait atteinte au droit à l’information.

Christine Tréguier  • 8 juin 2016
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Google veut bien déréférencer mais pas partout
Photo : JOHN MACDOUGALL / AFP.

La Commission nationale Informatique et libertés ne lâche pas prise : le droit au déréférencement de données personnelles pouvant nuire à la réputation d’un individu doit être effectif partout dans le monde et elle exige que Google se plie à ce principe, défini par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En mai 2014, celle-ci avait estimé que tout citoyen européen, à l’exception des personnes publiques comme les politiques, pouvait demander aux moteurs de recherche de faire disparaître les résultats contenant des données « inappropriées, hors de propos ou qui n’apparaissent plus pertinentes » de toute requête les concernant nominativement. Google a depuis reçu quelque 430 000 demandes et rejeté près de 60% d’entre elles. Bien que réticente au départ, la société s’est pliée à cet arrêt en l’aménageant à sa sauce : les retraits effectués se limitent aux requêtes émanant des extensions européennes du moteur (.fr, .uk, .es etc). Les informations restent donc accessibles si la recherche est faite à partir de google.com ou de toute autre extension géographique.

En mai 2015, la CNIL a mis Google en demeure, lui donnant quinze jours pour se conformer à la lettre à l’arrêt de la CJUE. Faute de réponse, elle a engagé une procédure de sanction. Une semaine avant l’audience de la formation restreinte de la Commission, Google a fait mine de négocier, proposant que les retraits soient effectifs pour toutes les extensions géographiques de son moteur de recherche mais… uniquement pour les requêtes émanant d’adresses IP françaises. Mais pour la CNIL « le service de moteur de recherche de Google constitue un traitement unique, les différentes extensions géographiques (« .fr », « .es », « .com », etc.) ne pouvant être considérées comme des traitements distincts […] Ainsi, pour que le droit au déréférencement des personnes résidant en France soit efficacement respecté, il doit être exercé sur l’ensemble de ce traitement. » Le 24 mars elle a donc tapé du poing sur la table en infligeant une sanction de 100 000 euros. L’amende est dérisoire si on la compare aux 23,4 milliards de bénéfices déclarés par la firme pour l’année 2014/2015, mais c’est la plus lourde infligée à ce jour par l’autorité française.

Google a fait appel de cette sanction et tenté de noyer le poisson dans une tribune publiée dans le Monde par son directeur juridique, Kent Walkerar. Son titre annonce la couleur

« Ne privons pas les internautes français d’informations légales ». Entretenant habilement la confusion entre « données personnelles » et « informations », il induit que l’application du droit à l’oubli pourrait se transformer en censure généralisée. « Une information jugée illégale dans un pays peut s’avérer licite dans d’autres : la Thaïlande proscrit les insultes à l’encontre de son roi, le Brésil interdit à tout candidat politique de dénigrer ses concurrents, la Turquie prohibe tout discours portant atteinte à Ataturk ou à la nation. » Dans tous ces exemples il est question de propos considérés par un État comme « diffamant » à l’égard de ses gouvernants et politiques, et non de données personnelles obsolètes pouvant nuire à la réputation d’un individu lambda. Autoriser le déréférencement de celles-ci partout dans le monde n’implique nullement de reconnaître le droit pour les régimes les plus autoritaires de prescrire internationalement l’effacement d’informations censées porter atteinte à son autorité. Le cœur du problème est ailleurs. Google veut bien s’autoréguler et respecter la vie privée, mais elle refuse que Bruxelles lui dicte le périmètre à respecter.

La tribune du Monde

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