« La Loi de la jungle » : Vive le ski en Amazonie  !

« La Loi de la jungle », deuxième long métrage d’Antonin Peretjatko, raconte une aventure foldingue en Guyane, aux résonances politiques contemporaines.

Christophe Kantcheff  • 15 juin 2016 abonné·es
« La Loi de la jungle » : Vive le ski en Amazonie  !
© Photo : 2015 RECTANGLE PRODUCTIONS

À chaque période difficile, le besoin de comédie est récurrent. Est-ce parce que nous traversons une telle époque que le cinéma « d’auteur » nous livre plus volontiers ce type d’œuvres ? Après Ma Loute, de Bruno Dumont, voici La Loi de la jungle, le second long métrage d’Antonin Peretjatko. Ce jeune cinéaste avait déjà marqué les esprits avec La Fille du 14 juillet, tranchant dans la production courante avec sa réjouissante dinguerie. Pour faire face à la crise, le gouvernement y décrétait la rentrée au 1er août, éliminant ainsi un mois de vacances. Insensé mais génial.

La Loi de la jungle accélère dans cette voie, s’adonne sans limite à cet humour au demeurant peu répandu en France, rappelant L’Homme de Rio, de Philippe de Broca, ou Marie-Chantal contre le docteur Kha, de Claude -Chabrol. Antonin Peretjatko y ajoute un propos politique. Il situe son action en Guyane, où il traduit à sa manière le climat post-colonial qui y règne et montre la folie qu’il y a à considérer ce morceau de France comme un territoire européen, avec les contraintes inappropriées qui y affèrent.

Le film commence au « ministère de la Norme », où Marc -Châtaigne (Vincent Macaigne) se voit confier un stage en Guyane. Il est envoyé là-bas pour superviser la mise aux normes européennes du chantier Guyaneige. Un projet dément : il s’agit de construire une station de ski en pleine forêt amazonienne pour relancer le tourisme. Mais pas si extravagant par rapport à la réalité, puisqu’on peut envisager de bâtir une piste de ski en région parisienne dans un centre commercial (cf. l’article sur EuropaCity p. 14). En exagérant à peine, La Loi de la jungle – un titre à prendre dans tous ses sens – rend burlesque un réel déjà absurde : voilà un mode efficace de critique radicale d’un système qui part en vrille.

Sur place, Châtaigne est associé à Tarzan (Vimala Pons), une superbe jeune femme débrouillarde et… stagiaire, comme lui, c’est-à-dire dotée d’une tâche ingrate et appelée en renfort d’une main-d’œuvre insuffisante – suivez mon regard… L’alliance d’un personnage masculin emprunté et d’une jolie délurée est un ingrédient sûr de la comédie classique. Antonin Peretjatko les lance dans une folle aventure où ils vont devoir affronter une nature hostile (qu’on peut voir comme une métaphore), motif à rapprochement entre un homme et une femme…

Ce qui autorise une nouvelle allusion à L’Homme de Rio, à la situation semblable : on se souvient que Jean-Paul Belmondo avait coutume d’assurer lui-même toutes les cascades. Ici, au cœur de la jungle ou plongés dans des torrents violents, Vimala Pons (qui est aussi circassienne) et Vincent Macaigne ont tout autant donné de leur personne. Ces prises de risque contribuent au caractère du film. On n’y fait pas du comique négligemment, « par-dessus la jambe ». La loufoquerie, quand elle est prise au sérieux, exige un véritablement engagement de soi, parce qu’elle démythifie, donc dénude – le contraire d’une fuite.

Le film ne manque pas non plus d’une certaine douceur, qui apparaît en contrepoint. Ce ne sont peut-être que quelques plans – comme ceux des lucioles que Châtaigne offre à l’émerveillement de Tarzan – mais qui comptent et témoignent que La Loi de la jungle est décidément d’une grande richesse, à l’image du casting impeccable qui accompagne les deux comédiens principaux : Jean-Luc Bideau, Mathieu Amalric, Pascal Légitimus, -Philippe Laudenbach, entre autres.

Étrangement absent de Cannes, La Loi de la jungle est désormais sur les écrans, donnant de bonnes nouvelles du cinéma français. Dès lors, on aurait tort d’imiter un des personnages du film – un huissier hystérique – qui déclare abruptement ne jamais aller au cinéma : « J’écoute “Le Masque et la Plume” et ça me suffit bien », dit-il. On soupçonne Antonin Peretjatko de penser qu’il vaut mieux faire le contraire, et on l’approuve bigrement…

Cinéma
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