Le bocage nantais agité par le référendum

Les habitants de Loire-Atlantique doivent se prononcer le 26 juin sur le projet d’aéroport du Grand-Ouest. Entre polémiques et guerre de communication, les militants des deux camps se sont lancés dans une campagne acharnée.

Vanina Delmas  • 22 juin 2016 abonné·es
Le bocage nantais agité par le référendum
© Photo : LOIC VENANCE/AFP.

Du bleu pour les « anti », du rouge pour les « pro ». D’un clic de souris, on choisit son camp, puis on joue la bataille de Notre-Dame-des-Landes comme une partie de Risk en ligne. « NDDL Newsgame » propose de se mettre dans la peau d’un acteur de cette lutte devenue emblématique pour tous ceux qui prônent un mode de société alternatif. Après un rapide historique qui remonte jusque dans les années 1960, la compétition pour convaincre l’opinion publique commence. Si l’on enfile le costume d’opposant, le ton est donné dès le premier slogan : « Sur la zone à défendre (ZAD), seule votre mobilisation sera de béton. »

Les arguments s’enchaînent : un projet d’un autre temps, la compensation écologique invalidée, des élus qui doutent… Et, comme dans la vraie vie, ce sont les coups stratégiques qui rapportent le plus de points : sondage, recours en justice, conférence de presse, démonstration de force. Mais aucune proposition de consultation publique – ou référendum local – car, lors de la création du jeu, il y a trois ans, personne n’imaginait cette issue. Pourtant, le 26 juin, les habitants du département de Loire-Atlantique sont invités à répondre à cette question : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »

Le 11 février dernier, François Hollande pense avoir trouvé la solution pour s’enlever l’épine Notre-Dame-des-Landes du pied. Il décide qu’un référendum local mettra tout le monde d’accord. Erreur. Premièrement, le terme référendum ne peut pas être utilisé puisque le projet d’aéroport a déjà été acté et qu’il fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique depuis 2008. Il s’agira donc d’une consultation publique. Deuxièmement, une ordonnance, publiée le 22 avril au Journal officiel, a statué que seul le département de Loire-Atlantique voterait. Un choix qui pose des questions déontologiques, car le projet se nomme Aéroport du Grand-Ouest (AGO) et il sera également financé au niveau régional et national. Ce périmètre restreint a été imposé par le gouvernement, lequel mise sur l’exaspération des habitants les plus proches de l’aéroport actuel pour voir le « oui » -vainqueur.

Même la question posée est sujette à caution puisqu’il ne s’agira pas réellement d’un transfert. « Il n’y a que les vols commerciaux qui seront déplacés à Notre-Dame-des-Landes. Les vols de fret seront maintenus à Nantes pour Airbus. Il n’y a aucune fermeture d’aéroport prévue, donc cela ne respecte pas le Grenelle de l’environnement, détaille Franco Fedele, de l’association Atelier citoyen. Logiquement, on ne peut donc pas répondre à la question. »

Toutes ces interrogations ont été soulevées le 20 juin lors d’une audience du Conseil d’État. Début juin, en effet, trois associations (l’Acipa, la CéDpa et Attac 44) et trois couples de paysans expulsables avaient saisi la plus haute juridiction administrative sur la légalité du décret organisant la consultation. Les neuf juges ont finalement confirmé la tenue de la consultation locale et ont estimé que la question posée n’était pas ambiguë.

France Nature Environnement, la Confédération paysanne, Attac 44 et le syndicat Solidaires ont déposé le 15 juin deux autres recours concernant l’ordonnance permettant ce type de consultation sur des projets bénéficiant du feu vert de l’État. Sans grand espoir.

Parallèlement, une véritable campagne électorale fait rage dans le bocage nantais, car rien n’est joué. En mars, un sondage Ifop pour I-télé et Europe 1 annonçait 58 % d’habitants du département favorables au projet, et 38 % contre. Un mois plus tard, un autre sondage Ifop pour l’association Agir pour l’environnement, étendu à trois territoires limitrophes (Bretagne, Pays-de-la-Loire, -Poitou-Charente), nuançait la tendance : 24 % d’avis favorables, 46 % contre et 30 % qui ne se prononcent pas. C’est cette portion d’indécis qui laisse les deux camps dans l’incertitude la plus totale. « Les sondages, ce n’est pas le vote, réagit Alain Mustière, président de l’association Des ailes pour l’Ouest, pro-aéroport. Je ne pense pas que les choses soient aussi claires que ces résultats de sondage. Je pense sincèrement que ce n’est pas gagné d’avance, alors on est dans l’action, sur le terrain. »

Depuis début mai, les distributions de tracts, la communication sur les réseaux sociaux et les réunions publiques s’enchaînent pour informer et convaincre. Une coalition de 116 maires, de gauche et de droite, a appelé à voter « oui », dont Johanna -Rolland, maire PS de Nantes. Un parti pris politique de -l’Association des maires dénoncé par la CéDpa.

Les trois associations favorables au projet se sont même alliées, notamment pour mettre en commun leur « budget campagne » : entre 50 000 et 60 000 euros provenant d’associations et de dons. Les habitants de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, soutenus par le maire PS de la ville, ont profité de l’annonce de la consultation locale pour former un Collectif citoyen engagé pour le transfert de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Coceta) et médiatiser la situation particulière de leur commune. « Nous sommes situés au bout de la piste de Nantes-Atlantique. Quand les avions atterrissent, ils passent à seulement 100 mètres au-dessus de nous, raconte l’un des membres du collectif. Dans l’idéal, il faudrait redresser l’axe de vol sur Nantes, mais cela demanderait une nouvelle déclaration d’utilité publique et ce serait à coup sûr refusé. S’il n’y a pas de déménagement, on parle d’agrandir l’aéroport… On se retrouverait vraiment dans une impasse. » Une opération ville morte avec une simulation d’exode a particulièrement marqué les esprits.

Chez les opposants, la mobilisation est une question d’habitude. Après avoir longuement envisagé de boycotter ce qu’ils considèrent comme un simulacre de référendum, la coordination regroupant une cinquantaine d’associations et de collectifs s’est engagée dans la bataille. « Seuls les zadistes ne s’impliquent pas, mais certains m’ont confié qu’ils s’étaient réinscrits sur les listes électorales pour voter le 26 juin », glisse Geneviève Coiffard. Rien n’est laissé au hasard. « Tous les arguments concernant l’inutilité du projet, le désastre écologique et la nécessité de continuer avec la plateforme actuelle ont déjà été maintes fois utilisés. Aujourd’hui, nous avons repéré des arguments qui pourraient faire pencher pour le “oui” et nous travaillons dessus : les questions concernant l’emploi et l’économie », explique Geneviève Lebouteux, secrétaire du Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (CéDpa).

Et la mobilisation des « nonistes » dépasse les frontières départementales. Des sessions de phoning collectives sont organisées dans toute la France via la campagne www.26juin.vote, largement soutenues par les ONG environnementales (WWF, Greenpeace, la Ligue de protection des oiseaux…) et par EELV. Le but : appeler les habitants de Loire-Atlantique pour savoir s’ils ont l’intention de voter. « Notre priorité est de trouver ceux qui sont contre le projet pour leur rappeler l’importance du vote. Mais nous avons aussi quelques arguments pour parler aux indécis, car on sait qu’il y aura beaucoup d’abstention », commente Flore Blondel, l’une des fondatrices de la campagne. Même sentiment à Nantes. « Avec le porte-à-porte, on constate que tout le monde sait qu’il y a une consultation publique, mais les indécis sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pensait », raconte Geneviève Lebouteux.

Parmi eux, beaucoup attendaient un document officiel pour leur éclaircir les idées. La Commission nationale du débat public (CNDP) a reçu pour mission de réaliser un document de synthèse, mis en ligne le 9 juin. « Le premier défi, c’était d’élaborer le document le plus clair, impartial et objectif possible sur un sujet aussi conflictuel. Le deuxième défi, c’est que le site soit accessible à tous car le document est dématérialisé », explique Christian Leyrit, président de la CNDP. Au total, 130 personnes entendues parmi les pro et les anti-aéroport. Mais pas les zadistes. Et la plupart des opposants ont pointé de nombreuses imprécisions. Europe Écologie-Les Verts dénonce même une « consultation biaisée ». Le CéDpa confie que ses remarques remettant en cause l’argument de l’urbanisation n’ont pas été reprises dans le document.

Personne ne veut penser à « l’après », surtout en cas de défaite, mais la ZAD reste l’argument choc des deux côtés. En février, le président LR du conseil régional, Bruno Retailleau, avait lancé une pétition et une grande campagne de communication : « Exigeons l’évacuation de la ZAD ». « Chez les “oui”, certains disent que c’est pour en finir avec la ZAD et la violence, surtout en ce moment. Or, si le “oui” l’emporte et que les travaux commencent, les zadistes présents se rebelleront et seront soutenus par des centaines de personnes », conclut Geneviève Lebouteux.

Un éternel recommencement sur tous les fronts. Et l’occasion pour une dizaine d’artistes, dont Sanseverino, Émilie Loizeau ou Bertrand Cantat, de reprendre l’hymne de la résistance, « Notre-Dame-des-oiseaux-de-fer », dans un clip. « Pour les avions il n’est plus temps, on ne veut pas de votre enfer. »

Écologie
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