Le Brésil panse sa gauche

Les mouvements sociaux veulent bâtir un nouveau projet progressiste en dépassant le Parti des travailleurs, compromis.

Patrick Piro  • 15 juin 2016 abonné·es
Le Brésil panse sa gauche
© Photo : ANDRESSA ANHOLETE/AFP.

La tétanie a cessé le 18 mars : cinq jours après les manifestations monstres réclamant le départ de Dilma Rousseff, présidente du Brésil, la gauche et les mouvements citoyens progressistes saturaient à leur tour le pavé pour dénoncer une tentative de coup d’État orchestrée par la droite, alliée aux grands acteurs économiques. « Un moment déterminant où des millions de personnes ont montré la vitalité de la résistance. Tout en assumant les critiques portées contre le Parti des travailleurs (PT) », précise Léticia Tura, directrice du bureau de Rio de la Fase, ONG d’action sociale et éducationnelle.

Depuis 2003, une grande partie de la société civile de gauche a poursuivi le compagnonnage avec ce parti qu’elle a porté jusqu’à l’exécutif suprême. Il y a treize ans, à peine investi, c’est un Lula submergé par l’émotion qui rend hommage à ces mouvements dont il se dit « enfant », au Forum social mondial de Porto Alegre. La lune de miel est pourtant loin aujourd’hui, car le PT n’a pas échappé aux maladies du pouvoir. Des cadres et des ministres ont été convaincus de malversations. Lula lui-même a réchappé de peu, après 2005, aux sanctions du scandale « mensalão » d’achat de votes de parlementaires.

Après sa succession en 2010 par Dilma Rousseff, la désillusion a été alimentée par des orientations de plus en plus libérales et productivistes. « Cette gauche a cumulé les erreurs, coupant les ponts avec la population », déplore Xavier Plassat, conseiller de la Commission pastorale de la terre (CPT). En particulier, l’exécutif est jugé sévèrement sur la question du droit des Indiens et des descendants d’esclaves noirs. Rosenilda Nunes Padilha, coordinatrice de la branche « Amazone occidentale » du Conseil indigéniste missionnaire (Cimi), ne pardonne pas au PT. « En milieu rural, il s’est allié, comme la droite auparavant, avec les franges les plus conservatrices ! »

Le processus de destitution a sonné le réveil. « Nous avons subi une certaine dépolitisation, parfois consentie. De nombreux mouvements se sont jetés sur les places offertes par les exécutifs. Leur capacité de revendication s’est sérieusement émoussée », constate Xavier Plassat.

Aussi les mouvements sociaux brésiliens sont-ils devant plusieurs chantiers. « Tout d’abord, il nous faudra exiger du PT une autocritique », estime Roberto Malvezzi, conseiller à la CPT. Ensuite, reconstituer les forces citoyennes, qui ont perdu de leur aura et de leur capacité à s’unir. Le Frente Brasil popular (Front Brésil populaire) et le Povo sem medo (Peuple sans peur), récemment constitués pour résister à l’assaut de la droite contre la démocratie et les conquêtes sociales, ne portent pas de perspectives. Responsabilité renouvelée pour les mouvements : « Il nous faudra reconstruire un projet dépassant les limites d’un PT à la pensée fondamentalement productiviste, et qui a laissé en jachère nombre de réformes structurelles », estime Léticia Tura. Au Cimi, on égrène une partie de la feuille de route : respect des peuples et des cultures qui composent la nation, abandon de la financiarisation de la nature, éthique des biens communs sans finalité consumériste, traque du clientélisme politique. Autant de terrains désertés par cette gauche qui a du pain sur la planche pour renouer le contact avec une société civile très frustrée.

Monde
Publié dans le dossier
Amérique du Sud : La gauche en panne
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