Le larmoyant discours du patron de Danone… Et la réalité

Ivan Capecchi  • 30 juin 2016
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Le larmoyant discours du patron de Danone… Et la réalité
Photo : Emmanuel Faber, DG de Danone.
© FRANCOIS GUILLOT / AFP.

Le 10 juin 2016, à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes d’HEC Paris, Emmanuel Faber, actuel DG de Danone, s’est fendu d’un discours poignant. Tout commence avec l’histoire de ce « petit garçon », son frère, qui a eu une adolescence « compliquée », « turbulente », même. Un jour, alors qu’il décide de « reprendre ses études et de passer son bac », le petit garçon connaît un premier accident. Il est interné en hôpital psychiatrique. Il en sort, devient ingénieur agronome puis, patatras : deuxième accident. Deuxième internement.

Petit frère devenu grand aimait passer du temps sur la place du quartier, à jouer de la guitare. « Il est devenu l’ami, ponctue Emmanuel Faber, de ceux qui se levaient très tôt le matin, car il ne dormait pas la nuit à cause de sa maladie » : les éboueurs, à qui il portait des « thermos de café » ; les « vieilles dames qui avaient du mal à traverser avec leurs cabas en revenant du marché… »

Et puis un jour, il décide de « rentrer au pays », dans son village des Hautes-Alpes. L’après-midi, il avait pour habitude d’aller se reposer près d’un torrent. Et, lorsqu’il redescendait de la cascade, il empoignait son téléphone, appelait son frère – Emmanuel Faber, donc – et lui faisait écouter le bruit de la fontaine. Juste, le bruit de la fontaine. « J’avais toujours cette petite voix, une fois par jour, qui me rappelait d’où je venais », rembobine, ému, M. Faber. Il y a cinq ans, son frère meurt, emporté par la maladie. Il était schizophrène.

Danone, pionnière des licenciements boursiers

Ce formidable exercice de story-telling n’a qu’un but : expliciter la vision de l’économie que prône le PDG de Danone. « Désormais, annonce-t-il, après toutes ces décennies de croissance, l’enjeu de l’économie, l’enjeu de la globalisation, c’est la justice sociale. Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie. » Puis, s’adressant aux diplômés d’HEC qu’il a en face de lui, il ajoute, l’air grave : « Cette main invisible, dont on vous a parlé, elle n’existe pas. Ou peut-être que si, mais elle est plus handicapée que ne l’était mon frère. Elle est brisée. Il n’y a que vos mains, ma main, nos mains à tous pour changer les choses, les rendre meilleures. »

On en aurait presque la larme à l’œil, si on avait la mémoire courte. Pour rappel, Danone fait figure de précurseur en matière de licenciements boursiers. Emmanuel Faber, que Libération décrit comme un fervent défenseur de l’éthique dans le business, rejoint Danone en 1997 en tant que directeur des finances. En 2001, l’industrie agroalimentaire annonce la fermeture de deux usines LU, quand bien même ses bénéfices continuaient de croître. C’est la première fois qu’Alain Bocquet, alors président du groupe PCF à l’Assemblée nationale, utilise l’expression « licenciement boursier » pour dénoncer une telle pratique.

En 2013, malgré un bénéfice net de 1,8 milliard d’euros sur l’année précédente, le géant déclare vouloir supprimer 900 postes ! et décide, en parallèle, d’augmenter le pourcentage de dividendes versés à ses actionnaires. Vers la fin de son discours, celui qui a pris les rênes de Danone en 2014, annonce qu’il y a trois choses à affronter : « le pouvoir, l’argent et la gloire ». En 2015, Emmanuel Faber a touché 4,86 millions d’euros. Une rémunération en hausse de 29,41% sur un an. Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais.

Économie
Temps de lecture : 3 minutes
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