Que restera-t-il de Bernie Sanders ?

Le sénateur du Vermont a bousculé Hillary Clinton et le Parti démocrate durant la primaire. Mais le mouvement qu’il a lancé peut-il perdurer ?

Alexis Buisson  • 29 juin 2016 abonné·es
Que restera-t-il de Bernie Sanders ?
© Samuel Corum / Anadolu Agency / AFP

Bernie Sanders l’a reconnu lui-même lors d’une interview : « Il apparaît que je ne serai pas le candidat du Parti démocrate. » Mais cela n’a pas empêché près de 1 500 supporters enthousiastes de se retrouver le 23 juin à Town Hall, une grande salle de spectacle new-yorkaise, pour l’applaudir. Le candidat déchu de la primaire démocrate leur avait donné rendez-vous pour leur expliquer « où nous allons maintenant », selon l’intitulé de l’événement.

C’est aussi la question que se posent beaucoup d’observateurs, quelques semaines avant le coup d’envoi des conventions pendant lesquelles seront investis Donald Trump et Hillary Clinton. La « révolution politique » qu’a cherché à créer Bernie Sanders va-t-elle se poursuivre maintenant qu’il n’est plus en course ? Quelle peut être son influence sur le Parti démocrate dès lors qu’il n’en est pas le candidat ?

Quand il retrouvera son siège de sénateur, Bernie Sanders aura en tout cas beaucoup plus d’influence que lorsqu’il l’a quitté pour faire campagne. Chacun de ses meetings à travers les États-Unis a rassemblé, contre toute attente, des milliers de personnes. Au total, 12 millions de personnes ont voté pour lui pendant la primaire (contre 15,8 millions pour -Clinton), dont nombre de jeunes -Américains séduits par ses propositions de refonte du système de santé et de gratuité de l’université publique. Il a forcé Hillary Clinton à prendre position sur des sujets qu’elle n’abordait pas, comme la réforme du processus électoral, le traité de libre-échange transpacifique (équivalent du traité transatlantique pour les pays riverains du Pacifique) et le salaire minimum. Surtout, il a levé plus de fonds que n’importe quel candidat avant lui, tous partis confondus – 222,2 millions de dollars –, établissant au passage un record pour les petites donations.

« Bernie Sanders est parvenu à transformer sa stature. De sénateur obscur, il est devenu un homme politique indépendant, porte-parole de l’aile gauche du Parti démocrate. Il a fait du chemin. Personne ne connaissait son nom il y a quelques mois, maintenant c’est l’inverse, résume James Lengle, professeur de politique américaine à Georgetown University. Si les démocrates reprennent le contrôle du Sénat lors des élections de novembre, cela accroîtra son influence au Sénat. »

« Il a apporté un regard frais sur les problèmes économiques et le financement des campagnes électorales. Il a aussi amené de nouveaux électeurs dans le processus politique et a insufflé de la passion et de la compétition au sein de la primaire », ajoute Julian Zelizer, professeur d’histoire et d’affaires publiques à Princeton.

Le premier test de l’influence de Sanders arrivera dès la convention démocrate, qui se tiendra du 25 au 28 juillet à Philadelphie. En effet, ses représentants sont actuellement à l’œuvre pour faire intégrer certaines de ses idées dans le programme (« platform ») du Parti démocrate, adopté traditionnellement pendant cette grand-messe d’investiture du candidat du parti. Le texte est purement symbolique, mais il pourrait être utilisé par -Sanders pour montrer à ses supporters qu’il a fait évoluer le parti. Il a d’ores et déjà déclaré qu’il voulait en faire « le texte le plus progressiste de l’histoire du parti » et souhaite notamment y inclure l’abolition des « primaires fermées », où seuls les électeurs inscrits comme -démocrates sur les listes électorales peuvent voter. Une pratique qui lui aurait coûté des votes, car nombre d’électeurs de Sanders sont étiquetés -« indépendants ».

« Si ses idées sont reprises dans le programme, il pourra le présenter comme une victoire morale auprès de ses supporters, juge Dave -Hopkins, professeur de sciences politiques à Boston College. Et il faut se souvenir que la presse s’ennuie lors des conventions, qui sont des épisodes très mis en scène. Elle sera friande de disputes éventuelles autour du programme. La dernière chose que le camp Clinton veut, c’est se retrouver au milieu d’une bagarre au moment de la convention, qui est censée être un moment d’unité. »

Mais, pour l’expert, le mouvement lancé par Bernie Sanders pourrait se diluer sur le long terme. « En général, il est difficile de maintenir la mobilisation au-delà d’une campagne présidentielle, surtout quand il s’agit de jeunes électeurs comme ceux de Sanders. C’est d’autant plus difficile qu’il n’a pas obtenu la nomination. Dans deux ou quatre ans, parlera-t-on toujours de son mouvement ? L’histoire suggère que non. » Et de pointer d’autres candidats démocrates « issus du même moule que Sanders », comme Jesse Jackson, Howard Dean ou encore Jerry Brown, tombés dans l’oubli après avoir cristallisé l’enthousiasme de leurs électeurs dans les années 1980 et 1990.

« Il est trop tôt pour dire si le mouvement va se prolonger, poursuit Dave Hopkins Mais, pour le moment, nous n’avons pas vu le Parti démocrate pencher de manière significative vers la gauche. Cela s’explique par le fait que Bernie Sanders n’est pas le leader d’une faction au sein des démocrates. Il a peu d’alliés pour promouvoir ses idées. Hillary Clinton n’a jamais vraiment été inquiétée par sa campagne, sauf dans quelques États. S’il souhaite transformer le Parti démocrate, son mouvement devra être plus fort et menacer la -réélection des leaders démocrates. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La seule chose qui distingue -Sanders des candidatures passées est sa capacité à lever de l’argent. Il a prouvé qu’on pouvait faire une campagne de financement importante sans l’appui de grandes entreprises ou le soutien des grands donateurs du parti. Cela peut inciter d’autres candidats à se lancer et à tenter de faire la même chose. »

Pour Bernie Sanders, le combat n’est pas terminé. Depuis la fin des primaires, il multiplie les meetings pour appeler à continuer le combat pour « la justice économique et sociale » et se déplace dans le pays pour soutenir les candidats qui épousent ses idées. À New York, il a invoqué les grandes luttes sociales qui ont jalonné l’histoire américaine : la création de syndicats, le mouvement féministe, le mouvement LGBT et plus récemment le « Fight for 15 » (mobilisation nationale des travailleurs de fast-food pour réclamer un salaire minimum de 15 dollars de l’heure), en rappelant que « les élections vont et viennent, mais que les révolutions politiques et sociales sont longues à venir ». Il a encouragé ses fidèles à se présenter dans des élections locales et nationales pour « revitaliser la démocratie américaine » et « rétablir la morale en politique ». « Il faut s’engager dans le processus politique au niveau de la base, se présenter aux élections du district scolaire, du conseil municipal, du congrès, de la mairie, du Sénat… Nous devons construire une mobilisation de terrain. Un programme ne veut pas dire grand-chose tant que les idées ne sont pas inscrites dans des politiques publiques, a-t-il dit. Nous ne faisons que commencer. »

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