Une lutte des classes modernisée

La lutte se diffuse en tous lieux et dans tous les métiers.

Jérôme Gleizes  • 8 juin 2016 abonné·es
Une lutte des classes modernisée
© Anne-Christine POUJOULAT / AFP

L’actuel mouvement contre la loi travail est en train de réactualiser et de moderniser la lutte des classes. Citons Adam Smith dans La Richesse des nations : « On n’entend guère parler, dit-on, de coalitions entre les maîtres, et tous les jours on parle de celles des ouvriers. Mais il faudrait ne connaître ni le monde ni la matière dont il s’agit pour s’imaginer que les maîtres se liguent rarement entre eux […] pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel. » De tout temps, l’asymétrie entre salariés et employeurs a surdéterminé les relations de travail. L’émergence du code du travail au cours du XIXe siècle a permis de mettre fin à la fiction de l’égalité civile entre travailleurs et patrons, et à pacifier ces relations.

Autrefois, le code civil légiférait à travers le contrat de louage de services. L’ouvrier mettait sa force de travail à disposition. Il pouvait théoriquement refuser, mais, pour (sur) vivre, il acceptait les emplois qu’on lui proposait. L’apporteur de capitaux, le « capitaliste », disposait de cette main-d’œuvre nombreuse et d’un rapport de force favorable pour jouer les salaires à la baisse et dégrader les conditions de travail. Le contrat de travail transforma cette relation à travers le contrat de subordination. L’ouvrier abandonna une partie de sa liberté contractuelle contre une sécurisation de ses conditions de travail, à commencer par un salaire prédéfini et non en fonction de son volume de production [^1].

La volonté du gouvernement, dit de gauche, d’inverser la hiérarchie des normes – c’est-à-dire de permettre à l’entreprise de définir ses propres règles, dérogatoires au droit du travail, en baissant notamment les salaires – est une remise en question de cet acquis social. Le vocabulaire a changé, mais pas la nature conflictuelle de la relation de travail. Le patronat argumente en disant qu’il ne faut pas mettre « en danger ce bien commun que sont les entreprises françaises [^2] ». Il faudrait diminuer les salaires pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Nous vivrions dans une société apaisée où les conflits de classe auraient disparu, car gouvernement, salariés et patrons, main dans la main, défendraient le « bien commun ». Or, les inégalités progressent. Les riches sont de plus en plus riches et la baisse des salaires accentue la paupérisation des classes populaires. Faut-il rappeler que le salaire mesure la qualification du travail et que minorer les salaires c’est se spécialiser dans les produits à faible valeur ajoutée ? Faut-il rappeler que, contrairement aux idées reçues, un mécanicien de l’automobile est mieux payé à Séoul qu’à Paris [^3] ?

Face à un monde économique de plus en plus globalisé, face à un capitalisme de plus en plus financiarisé, face à une valeur ajoutée de plus en plus immatérielle, les moyens de la lutte ont changé. Plus d’usine comme quartier général. Plus de ville prioritaire. La lutte se diffuse dans toutes les villes, en tous lieux, dans tous les métiers. Les centres de communication, de logistique, les flux énergétiques (raffinerie, centrales nucléaires…), vitaux, sont visés. La contre-information s’émancipe des médias dominants. Les 99 % s’opposent désormais aux 1 %.

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