CICE : Combien touchent-ils et que font-ils ?

La manne du CICE ne semble pas orienter les logiques d’entreprises. Exemple à travers six sociétés parmi les plus représentatives.

Erwan Manac'h  • 21 septembre 2016 abonné·es
CICE : Combien touchent-ils et que font-ils ?
© Photo : PHILIPPE DESMAZES / AFP

Carrefour : Le PDG double son salaire

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Carrefour affiche des bénéfices confortables mais perçoit tout de même une belle enveloppe de CICE. Côté emploi, les effectifs se maintiennent en France, à en croire les informations parcellaires que nous avons recueillies dans la presse. Car le groupe est aussi disert sur ses effectifs à l’étranger (380 000 personnes) que discret sur ses salariés en France. Sauf pour se féliciter de la distinction de « premier employeur privé de France ».

Carrefour est aussi avare en matière de salaires. En organisant artificiellement le déficit de ses magasins par une savante imbrication de filiales, le groupe parvient à contenir toute revendication salariale. L’enseigne gâte en revanche ses actionnaires, parmi lesquels figure un certain Bernard Arnault. Après son entrée au capital de Carrefour en 2007, il poussait à la vente de Dia en 2011, ce qui a valu une distribution de dividendes équivalente à 700 % des résultats nets de l’entreprise, selon la CFDT. Le salaire du PDG du groupe, Georges Plassat, a lui aussi doublé entre 2012 et 2015, selon la même source, passant à 7,1 millions d’euros par an (parts fixe, variable et actionnariale cumulées). Ce qui fait tout de même 19 500 euros par jour.

La Poste : 13 emplois détruits par jour

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Avec son armée d’environ 230 000 postiers, l’entreprise à capital public touche le plus gros montant de CICE. Cela n’a pas freiné sa politique brutale sur le front de l’emploi : 19 000 destructions de postes en trois ans, au rythme des départs à la retraite et des démissions non remplacées, selon les bilans sociaux. « Ce chiffre monte à 100 000 depuis 2003 ! Nous n’avons pas d’équivalent en Europe », s’indigne Nicolas Galepides, secrétaire général de Sud-PTT. L’activité courrier est certes en diminution (- 6,5 % en 2015), mais le nombre d’adresses à distribuer augmente. Il y a donc une intensification du travail des postiers, qui se lit dans le taux d’absentéisme (6,6 %), 2 points au-dessus de la moyenne nationale. La précarisation est également criante : le taux d’embauche en contrat précaire atteint 87 % en 2015.

Avec ses 350 millions de CICE, La Poste pourrait verser 1 500 euros à chacun de ses salariés. Ça n’a pas été son choix. « Clairement, l’argent sert à fermer des services publics », gronde Force ouvrière_. « L’allocation de l’État pour le maintien du service public a été diminuée en parallèle du CICE »,_ note également la sénatrice communiste Marie-France Beaufils.

Radiall : Le roi de « l’optimisation »

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Groupe industriel spécialisé dans l’électronique, Radiall est surtout connu pour son PDG, Pierre Gattaz, également président du Medef et inspirateur du CICE. Rapportée au nombre d’emplois créés, la somme perçue au titre du CICE équivaut chez Radiall à 81 000 euros par emploi. Sans compter que le chiffre d’affaires du groupe est par ailleurs en forte augmentation, ce qui suffit à expliquer la faible hausse des effectifs. Le parallèle, en revanche, est frappant entre le montant du CICE et l’augmentation des dividendes : 1,5 million d’avantage fiscal en 2014 contre une hausse de 1,8 million d’euros de dividendes entre 2013 et 2014.

Pierre Gattaz s’est illustré à partir de 2011 par une belle démonstration d’optimisation fiscale, par le truchement des « prix de transfert ». Une filiale du groupe à l’étranger achète la production aux filiales françaises à des prix cassés, ce qui permet de diminuer la rentabilité, et donc l’impôt, de ces dernières. Entre 2010 et 2011, la part du résultat opérationnel réalisée en France a chuté de 46 % à 19 %, alors que la part de la production en France demeurait équivalente à 46 %, écrit Arlette Charlot sur le blog Dans la cuisine des patrons.

BNP : Licencier, polluer, s’évader

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Depuis 2011, la BNP Paribas a engagé un programme massif de licenciements. Pas moins de 250 agences ont été fermées en cinq ans, et ce mouvement s’accélère aujourd’hui avec un plan de départs volontaires ­portant sur 675 salariés, annoncé en avril pour les trois prochaines années. Le premier employeur du secteur des services, qui fait vivre 6 000 personnes, suit un « plan stratégique » visant l’économie d’un milliard d’euros par l’informatisation. Et ce, entre autres, grâce au CICE : dans son document de référence, la banque affirme en effet que le CICE a été notamment alloué à des « investissements d’innovation ».

Attac considère par ailleurs la BNP comme « le champion français de l’évasion fiscale » et les révélations des Panama Papers ont mis au jour pas moins de 468 sociétés offshore pour la banque française. Bien que sponsor officiel de la COP 21, la banque s’est également distinguée en 2015 comme lauréate du prix « Pinocchio » pour le climat. La BNP Paribas est « la première source de soutien financier au charbon en France et le neuvième principal financeur de ce secteur au niveau mondial », dénoncent les Amis de la Terre.

PSA : Redressement improductif

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Sauvé du dépôt de bilan par l’intervention de l’État français et de la société automobile chinoise Dongfeng en 2014, tous deux entrés au capital à hauteur de 14 %, PSA Peugeot Citroën affiche aujourd’hui des bénéfices records. Mais ce rebond a été particulièrement coûteux en matière de destructions d’emploi, avec une incidence sur les salaires (gelés de 2012 à 2016). Quant aux employés qui ont conservé leur emploi, « il y a une forte intensification du travail, une aggravation de la flexibilité et une dégradation importante des conditions de travail », dénonce Jean-Pierre Mercier, délégué syndical CGT du groupe. La situation reste préoccupante, selon le syndicat, car la construction d’usines au Maroc laisse craindre de nouvelles destructions d’emplois dans plusieurs usines françaises.

Insensible à sa propre politique de « modération salariale », le PDG du groupe, Carlos Tavares, a doublé ses rémunérations en 2015, passées à 5,24 millions d’euros annuels (fixe, variable et « actions de performance »), alors que les salariés décrochaient au même moment 8 euros net mensuels d’augmentation et une prime exceptionnelle de 2 000 euros brut.

Accor : La carte de la franchise

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Depuis 2011, le leader européen de l’hôtellerie (Sofitel, Novotel, Mercure, Ibis, Formule 1) s’est engagé dans une stratégie nouvelle. Vendre des hôtels qui sont ensuite gérés sous franchise, moyennant redevance à la maison-mère. « L’objectif de cette opération n’est même pas masqué : réduire les coûts, principalement salariaux, afin de “débarrasser” le groupe d’hôtels n’entrant pas dans les critères de rentabilité des actionnaires », s’indigne la CFDT dans un communiqué d’octobre 2015.

Environ 130 000 personnes travaillent au sein du groupe sous le régime de la franchise ou du « management », avec des avantages sociaux moindres. Seraient notamment visés par le changement de statut, selon la CFDT, le 13e mois, l’intéressement, la participation ou encore la mutuelle dont bénéficient les salariés d’Accor. « Nous ne pouvons plus faire de rapprochement entre les établissements, ce qui ouvrait un droit à des représentants syndicaux », regrette également Amar Lagha, secrétaire général de la CGT commerce et services. On note aussi que le groupe a touché l’an dernier 18,6 millions d’euros de CICE tout en augmentant ses dividendes de 15 millions d’euros.

Double page réalisée avec l’aide de www.cuisinedespatrons.com. Source : bilans sociaux et financiers.

  • Les bénéfices présentés correspondent au résultat opérationnel.

Économie
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CICE : Le casse du siècle
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