« Fuocoammare, par-delà Lampedusa » : Du bon côté de la Méditerranée

Dans Fuocoammare, par-delà Lampedusa, Gianfranco Rosi met en regard les habitants de l’île italienne et les réfugiés.

Christophe Kantcheff  • 28 septembre 2016 abonné·es
« Fuocoammare, par-delà Lampedusa » : Du bon côté de la Méditerranée
© Photo : 21Unoproductions/Stemalentertainement/LesFilmsdIci/ArteFranceCinéma

L’animateur d’une radio locale diffuse des airs populaires et des chansons de pêcheurs dédicacées par les femmes restées à terre. Nous sommes sur une île située tout au sud de la Sicile : Lampedusa. Soudain, la radio annonce qu’un rafiot en perdition, où se sont entassés des réfugiés, a reçu des secours. « Les pauvres gens ! », lance une vieille femme derrière son poste. C’est à peu près tout ce qu’on verra du rapport des habitants de l’île aux migrants.

D’un côté, Gianfranco Rosi montre de manière récurrente, presque lancinante, les opérations de sauvetage de naufragés éperdus, certains dans le malheur d’avoir un proche décédé sur le bateau. Les militaires, en combinaison blanche, sont à la manœuvre, procédant toujours de même, faisant un premier tri entre les cadavres et les vivants, puis entre les malades et les bien-portants. De l’autre, le cinéaste suit un garçon de 12 ans, Samuele, le petit-fils de la vieille femme écoutant la radio. Fils de pêcheur, il n’est pas particulièrement attiré par la mer – il est malade quand le ressac est fort –, même s’il est destiné, comme tous sur cette île, à en faire son métier. Pour le moment, sur la terre ferme, il préfère fabriquer des frondes pour tirer sur les oiseaux.

Si Samuele se sert toujours du même œil pour viser, il se rend compte que son autre œil est déficient. Il doit le ré-entraîner à voir. Voilà, métaphoriquement, la question du regard soulevée ; elle est au cœur du film. Quelle vision avons-nous des réfugiés ? Fuocoammare, par-delà Lampedusa en propose une : des hommes, mais une majorité de femmes et d’enfants, qui ont traversé l’enfer (raconté dans un chant qu’ils improvisent), dont plusieurs meurent noyés ou asphyxiés dans les cales.

Un médecin, le directeur de l’hôpital de Lampedusa, le seul à faire le pont dans le film entre les habitants et les réfugiés – Samuele est un de ses patients –, témoigne de sa douleur à devoir s’occuper des enfants morts. Ses paroles sont d’une implacable humanité. Peut-être parce qu’il se retrouve face aux arrivants, qu’il touche leur corps, les soigne : l’indifférence, pour lui, est inconcevable.

Du champ/contre-champ continu entre les migrants et les habitants de l’île, pauvres et à l’existence austère, s’impose peu à peu l’idée que ces deux populations-là se ressemblent. Rien, en définitive, ne les distingue, sinon que les seconds sont nés du bon côté de la Méditerranée. Fuocoammare, par-delà Lampedusa révèle l’absurdité d’une tragédie.

Fuocoammare, par-delà Lampedusa, Gianfranco Rosi, 1 h 49.

Simultanément sortent trois films inédits du cinéaste : Boatman (1993), Below Sea Level (2008), El Sicario, room 164 (2010).

Cinéma
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