L’information comme marchandise

Laurent Mauduit raconte comment quelques oligarques se sont emparés des médias.

Denis Sieffert  • 21 septembre 2016 abonné·es
L’information comme marchandise
© Photo : ÉRIC PIERMONT/AFP

Ce n’est certes pas la première fois que la presse tombe dans l’escarcelle de magnats avides de pouvoir. Leurs aventures ont inspiré romanciers et cinéastes, de Balzac à Orson Welles. Mais il y a aujourd’hui quelque chose de radicalement nouveau. Et c’est cette nouveauté que Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, dissèque dans un ouvrage documenté au titre évocateur : Main basse sur l’information. Il détaille par le menu comment une dizaine d’oligarques ont pris les commandes de l’information, entrant comme en contrebande dans un métier qui n’est pas le leur et pour lequel ils n’ont d’ailleurs aucune considération.

Les deux personnages les plus représentatifs de cette évolution sont, sans aucun doute, Vincent Bolloré et Patrick Drahi. Le premier, affairiste de la Françafrique, a mené, avec une violence inouïe, un véritable « putsch médiatique » pour s’emparer du groupe Canal +. Le second a raflé en quelques mois Libération, L’Express, L’Expansion et la chaîne franco-israélienne i24 News. À Canal comme à i-Télé (aujourd’hui CNews), Bolloré a viré tous les gêneurs, ou supposés tels, pour installer des obligés. Dont deux éphémères : Guillaume Zeller, nostalgique de l’Algérie française, à la tête d’i-Télé, et la présentatrice Maïtena Biraben, qui ne tarde pas à faire, sur le plateau du « Grand Journal », l’éloge du Front national. Choses connues.

Ce qui l’est moins, c’est la caution apportée par Manuel Valls, et par les réseaux de communicants qui lui sont proches. Où l’on retrouve l’inévitable Anne Hommel, conseillère naguère de DSK et de Cahuzac. « Comme quoi, note Mauduit, on peut organiser […] une purge sans précédent dans l’histoire récente de la presse française et néanmoins profiter de l’appui ostensible des plus hautes autorités de l’État. »

À certains égards, l’aventure de Patrick Drahi est plus instructive encore. Celui-là est aussi discret que l’autre est tonitruant. Suivre le parcours du petit câbleur de Cavaillon jusqu’au sommet d’un empire médiatique dont le fleuron est SFR, c’est plonger dans le monde opaque de la finance. Et on voit du pays, de Guernesey à Panama.

En moins de deux ans, Drahi met sur la table 40 milliards d’euros sans jamais sortir un centime de sa poche. Il s’endette grâce à son entregent et à son aptitude à saigner les entreprises dont il s’empare. L’homme est aujourd’hui à la tête, si l’on peut dire, d’une dette de 34 milliards d’euros. Mauduit le suit à la trace, et c’est passionnant. Drahi, nous dit-il, est une « caricature de la finance dérégulée ».

On trouvera encore dans le livre, qui est aussi une galerie de portraits, Pinault, Arnault, Lagardère et l’insubmersible Dassault. Et le récit de la montée en puissance de l’attelage Bergé, Niel, Pigasse au Monde et à L’Obs. Sans oublier l’éternel conseiller des puissants, sorte de Talleyrand des temps modernes, Alain Minc, recordman des plagiats. Tout un monde. L’ennui, c’est que cette marchandise qu’ils traitent et maltraitent, c’est la démocratie.­

Main basse sur l’information, Éd. Don Quichotte, 442 p., 19,90 euros.

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