De la difficulté à définir le populisme

La quête de sens du politologue Jan-Werner Müller vaut plus par son mouvement que par sa fin.

Denis Sieffert  • 12 octobre 2016 abonné·es
De la difficulté à définir le populisme
© Photo : FRANCOIS NASCIMBENI/AFP

C’est une brûlante et redoutable question qui s’affiche en couverture du dernier essai du politologue allemand Jan-Werner Müller : « Qu’est-ce que le populisme ? » On l’entend comme une promesse d’élucidation alors que le mot envahit ad nauseam discours et commentaires politiques. À vrai dire, on n’est pas sûr d’avoir une réponse très claire en refermant ce livre, par ailleurs riche d’une utile réflexion. Le concept – qui n’en est peut-être pas un (et c’est bien le problème !) – est interrogé, scruté, malaxé, trituré sans que l’auteur parvienne jamais à en délivrer véritablement le sens.

Cette quête n’est pas nouvelle. Elle taraudait déjà des sociologues dans les années 1960, explique Müller. Mais, aujourd’hui, Le Pen, Trump, Orban, Grillo, pour ne citer qu’eux, sont aux portes du pouvoir, quand ils n’y ont pas déjà accédé. Nous les qualifions empiriquement de « populistes », alors que la notion reste dans l’indéfinition. Sans doute parce qu’elle souffre d’un « étirement conceptuel », comme le dit Müller. Une caractéristique qui permet d’intégrer au club aussi bien un fasciste comme feu l’Autrichien Jörg Haider, le néolibéral argentin Carlos Menem et même, selon Müller, les Indignés espagnols de Podemos.

Ce n’est plus de l’étirement, c’est de l’écartèlement. On y retrouve tous ceux « qui pestent contre ceux d’en haut », dit-il. Ce qui peut faire beaucoup de monde. Tout de même, Müller resserre son sujet. Les populistes sont ceux qui revendiquent un monopole de la représentation populaire. Ceux qui « construisent la figure du laissé-pour-compte comme acteur politique » et s’écrient : « Nous sommes le peuple ! » Or, affirme Müller, faire du peuple un « sujet collectif », évidemment « hostile aux élites », est fondamentalement « anti-pluraliste ».

Nous y voilà : le « populiste » est avant tout l’ennemi de la démocratie, laquelle « encadre institutionnellement » la conflictualité. Oui, mais que se passe-t-il lorsque l’impératif budgétaire ruine toute alternative ? Lorsque l’expertocratie (les « élites », sans doute) nous assène qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme ?

C’est cette situation, bien actuelle, que décrit la politologue belge Chantal Mouffe, vigoureusement prise à partie par Müller. Selon elle, « c’est avant tout le consensus néolibéral qui a engendré le populisme ». C’est peut-être ici l’impensé du livre de Müller, ou son trop peu pensé, car il effleure la question : le péril anti-pluraliste vient d’abord du néolibéralisme et de la désagrégation de la notion de mandat. Il en résulte un désarroi qui peut produire parfois le meilleur, et plus souvent le pire. Or, il n’est pas aisé de mettre le meilleur et le pire sur la même ligne du dictionnaire, et cela sans considération d’un véritable contenu politique et social.

Qu’est-ce que le populisme ?, Jan-Werner Müller, Premier Parallèle, 190 p., 18 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Clément Carbonnier : « Baisser le coût du travail ne crée pas d’emplois »
Entretien 14 octobre 2025 abonné·es

Clément Carbonnier : « Baisser le coût du travail ne crée pas d’emplois »

En plein débat budgétaire, le livre Toujours moins ! L’obsession du coût du travail ou l’impasse stratégique du capitalisme français (La Découverte) tombe à point nommé. Son auteur, professeur d’économie à Paris-I Panthéon-Sorbonne, y démontre que les politiques économiques visant à baisser le coût du travail sont inefficaces et génératrices d’inégalités.
Par Pierre Jequier-Zalc
La qualification d’antisémitisme, « une confusion volontaire entre le religieux et le politique »
Antisémitisme 9 octobre 2025 abonné·es

La qualification d’antisémitisme, « une confusion volontaire entre le religieux et le politique »

Dans un ouvrage aussi argumenté que rigoureux, l’historien Mark Mazower revient sur l’histoire du mot « antisémitisme » et s’interroge sur l’évolution de son emploi, notamment quand il s’agit d’empêcher toute critique de l’État d’Israël.
Par Olivier Doubre
Salah Hammouri : « La détention administrative a été un moyen de détruire la société palestinienne »
Entretien 7 octobre 2025 libéré

Salah Hammouri : « La détention administrative a été un moyen de détruire la société palestinienne »

Depuis 1967, plus d’un Palestinien sur trois a été arrêté et détenu par Israël au cours de sa vie. Parmi eux, cet avocat franco-palestinien qui a passé plus de dix ans dans le système carcéral israélien avant d’être déporté en France en 2022. Son témoignage révèle la façon dont l’enfermement permet à Israël de contrôler la société palestinienne.
Par Pauline Migevant
Faut-il prendre un ours comme généraliste ?
Essai 3 octobre 2025 abonné·es

Faut-il prendre un ours comme généraliste ?

Dans un essai facile d’accès, le biologiste Jaap de Roode part à la rencontre des recherches scientifiques montrant la maîtrise de l’automédication par les animaux. Et gomme le scepticisme sur une question : la médecine animale est-elle le futur de la médecine humaine ?
Par Vanina Delmas