Évasion fiscale : comment le gouvernement a (encore) bloqué un amendement décisif…

L’Élysée et Matignon ont réussi à empêcher une mesure phare de la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises. C’était pourtant l’objectif annoncé de la loi Sapin 2.

Pauline Graulle  • 2 octobre 2016 abonné·es
Évasion fiscale : comment le gouvernement a (encore) bloqué un amendement décisif…
© Photo: Michel Sapin, ministre de l'Economie et des finances, et Christian Eckert, ministre du Budget (ALAIN JOCARD / AFP).

Une loi contre « la corruption » et pour « la transparence de la vie économique ». Quelles étaient belles les promesses de la « loi Sapin 2 » ! A l’arrivée, la déception est d’autant plus cruelle. Certes, certaines dispositions – améliorant la protection des lanceurs d’alerte notamment – constituent des avancées. Mais après son passage en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, jeudi dernier, le texte adopté referme la porte, et pour longtemps, d’une vraie réforme pour lutter contre l’évasion fiscale des grandes entreprises – estimée, rappelons-le, à 60 milliards d’euros par an. « On savait tous que c’était la dernière chance de faire avancer le sujet dans une loi dont c’était l’objet, et bien, c’est raté », grince, amère, la députée (ex-Nouvelle donne) Isabelle Attard.

Ministre fossoyeur

Qui est le fossoyeur de la « loi Sapin » ? C’est… Michel Sapin lui-même. Ou plutôt, François Hollande et Manuel Valls qui, par l’intermédiaire de leur ministre et de parlementaires complices, ont tout fait pour qu’un amendement décisif de la lutte contre la fraude fiscale des entreprises soit tout bonnement supprimé.

Cet élément clef, c’est le « reporting pays par pays ». Une mesure réclamée depuis belle lurette par toutes les ONG travaillant sur le sujet, et qui consiste à obliger les entreprises et leurs filiales à déclarer publiquement le montant de leurs recettes, le nombre de salariés, et les impôts payés dans les pays étrangers où elles ont élu domicile. « On ne dit pas que ça règle tout, mais c’était une demande atteignable pour le gouvernement qui a d’ailleurs imposé ce reporting public aux banques en 2013 », explique Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire.

Cette fois pourtant, le gouvernement n’a rien voulu entendre. Ou plutôt, « nous, les ONG de lutte contre l’évasion fiscale, avons été très écoutées, raconte Lucie Watrinet, mais au final, les rapporteurs du texte ont intégré au projet de loi un amendement sur le reporting vidé de sa substance, qui offre beaucoup trop d’exceptions aux entreprises et qui du coup, est complètement inutile ».

Le précédent de la loi de finances

Les ONG le prennent d’autant plus mal qu’il y a un précédent de taille. En décembre 2015, lors du vote du projet de loi de finances rectificatif, un amendement visant à lutter contre l’évasion fiscale a déjà été censuré, au nom de la « compétitivité » de la France, à la demande expresse de Christian Eckert. Pour ce faire, le ministre du Budget a été jusqu’à faire revoter les députés – l’affaire avait provoqué un tollé général, mais en vain…

Jeudi dernier, rebelote. L’hémicycle est quasiment vide, et certains députés décident de profiter de l’occasion pour muscler l’amendement sur le reporting afin de le rendre vraiment contraignant. Michel Sapin prend alors la parole. Longuement. En fait, le temps qu’il faut pour demander à ses affidés de rejoindre la séance en catastrophe pour voter contre… « Vu le nombre que l’on était, s’ils n’étaient pas revenus, l’amendement passait », témoigne le député socialiste « frondeur », Pascal Cherki, qui a dénoncé publiquement (alors que le vote n’était pas public), sur Facebook, les socialistes qui ont fait capoter la mesure : Romain Colas, Sébastien Denaja, François Pupponi, Carlos Da Silva et Christophe Castaner.

« Ce que montre cette histoire, estime un spécialiste, c’est que non seulement le gouvernement a tous les pouvoirs sur le parlement, mais aussi qu’il est terrorisé à l’idée d’affronter les entreprises ». Isabelle Attard, écœurée, parle aussi d’un « manque de courage politique ». Un de plus.

Politique
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