Le butin des Vikings

Le groupe guadeloupéen phare des années 1970 remonte sur scène avec une énergie inentamée.

Denis Constant-Martin  • 5 octobre 2016 abonné·es
Le butin des Vikings
© Photo : PATRICK LAMBIN

La décennie 1970 fut une période de bouleversements pour la Guadeloupe. À la crise de la canne à sucre s’ajoutèrent les effets des migrations vers la métropole, politique lancée par Michel Debré en vue de fournir à l’Hexagone une main-d’œuvre bon marché mais de nationalité française. Dans le cadre du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer), de 1963 à 1981, 70 615 personnes originaires des DOM (à l’exception de la Guyane) viendront travailler en France continentale.

Côté musique, le gwo-ka demeurait cantonné dans les zones rurales ou dans les rues de Pointe-à-Pitre, où jouait et vivait, sans toit, le maître tambourinaire Vélo ; la chanson locale restait dominée par la biguine doudou de Gérard La Viny ; la biguine-jazz d’Al Lirvat et Robert Mavounzy s’entendait surtout à Paris quand rock et yéyé, mais aussi kompa haïtien, merengue dominicain et musiques cubaines, s’infiltraient sur les ondes.

C’est alors que Camille Sopran’n, Fred Aucagos et -Hippomène Leauva se réunissent pour inventer un son nouveau dans lequel ils fusionnent des apports de toutes les musiques qui les séduisent : soul et funk américains, kompa, cadence, calypso et la chanson ivoirienne d’Amédée Pierre. Si les Vikings mêlent une guitare réverbérée venue du rock aux cuivres de la soul music, le saxophone de Camille Sopran’n conserve la fluidité chantante de Robert Mavounzy et d’Émilien Antile, tandis que la rythmique reprend le plus souvent la formule typiquement guadeloupéenne : tac pitac pitac. Cette nouveauté à la fois intensément moderne et profondément guadeloupéenne répond aux attentes d’un public jeune, désormais transatlantique, qui ne se reconnaît pas vraiment dans la chanson exotisante de David Martial. Ils ouvrent ainsi la voie au zouk. D’ailleurs, un des Vikings, Pierre-Édouard -Décimus, participera à la fondation du groupe phare de ce nouveau genre : Kassav.

Les Vikings n’ont jamais vraiment disparu mais, leurs premiers fans ayant aujourd’hui l’âge de la retraite, le groupe bénéficie d’un effet nostalgie qui a suscité la réédition d’une anthologie de leurs meilleurs enregistrements et permis que des membres fondateurs du groupe, soutenus par des musiciens plus jeunes, se retrouvent pour faire entendre ce qu’il y avait d’inouï dans leur musique il y a plus de quarante ans, et comment ils peuvent, avec une énergie inentamée, la rajeunir en la frottant, en retour, de zouk.

Concerts : 7 octobre, Festival Nancy Jazz Pulsations ; 8 octobre, Châtenay-Malabry, Théâtre Firmin-Gémier/La Piscine ; 10 novembre, La Plaine Saint-Denis, Dock Pullman.

CD : Enko On Ti Tou (1966-2016), Les Vikings de la Guadeloupe, Heavenly Sweetness.

Musique
Temps de lecture : 2 minutes