« Mercenaire », de Sacha Wolff : Résister à la mêlée

Mercenaire, de Sacha Wolff, met en scène un jeune rugbyman wallisien recruté en métropole pour jouer dans un club sans gloire.

Christophe Kantcheff  • 5 octobre 2016 abonné·es
« Mercenaire », de Sacha Wolff : Résister à la mêlée
© Photo : Hassen Brahiti.

Un jeune Wallisien vivant à Nouméa, Soane (Toki Pilioko), en butte à la violence de son père (Petelo Sealeu), est recruté par un intermédiaire, Abraham (Laurent Pakihivatau), pour jouer au rugby en métropole. Renié dès lors par son père, il arrive dans le Sud-Ouest et, après quelques déconvenues, signe un contrat avec une équipe de seconde zone. Le film raconte comment Soane s’adapte à ce nouvel environnement, et comment, s’affirmant, il pourrait trouver la force de revenir vers son père, pour se faire de nouveau admettre par lui.

Mercenaire est le premier long-métrage de fiction de Sacha Wolff, auteur de plusieurs documentaires. Le film n’est pas dénué de défauts, comme cette volonté trop marquée de hausser son récit à la mesure d’une tragédie antique, avec le fils déchu et le père écartelé entre le témoignage impossible de son amour et son autoritarisme. Mais ceux-ci ne doivent pas détourner d’un film dont la singularité tient beaucoup aux représentations qu’il propose.

C’est le cas de ces garçons qui débarquent des petits archipels du Pacifique appartenant à la France, pour jouer dans des clubs professionnels ou semi-professionnels. Il semble que le cinéma ne s’en était jamais emparé. Soane est comme un corps étranger dans notre société, tout en ayant la nationalité française. « Corps » aussi dans son sens le plus physique : le sien, imposant, est disproportionné (sans être monstrueux). Et c’est pour les performances de celui-ci qu’il est avant tout considéré. À la façon d’une marchandise d’abord. À l’aéroport, l’homme qui le réceptionne ne reconnaît pas en lui les mensurations de la « bête » escomptées, en poids comme en taille. Ce qui lui vaut sur le champ un billet de retour – Soane préfère rester mais est livré à lui-même. À la façon d’une brute ensuite. Une fois intégré dans un club, il en est la pièce destructrice. Dès le premier match, il a pour mission de casser un des adversaires. Il est celui par qui la « révolte » doit survenir quand son équipe est dominée.

Mercenaire est aussi un film qui ne flatte personne, qualité peu fréquente. Certainement pas ces milieux du rugby, pourtant ici très en deçà du Top 14, où le dopage est généralisé et où les clubs, par le biais d’entremetteurs plus ou moins véreux, cherchent à réaliser des plus-values sur la vente des joueurs. Ni le Sud-Ouest, qui, contrairement à la Nouvelle–Calédonie, bénéficiant de plans larges, est cadré serré, sans recherche d’un charme particulier.

Le regard du cinéaste est aussi dénué de pittoresque. Il ne filme pas Soane comme le « bon sauvage » qui révèlerait les turpitudes de nos sociétés occidentales. Soane a en lui une violence dont l’extériorisation est la voie obligée vers son émancipation. Elle s’exprime sur le terrain ou dans les vestiaires, lors d’une scène étonnante où Soane retrouve soudain la puissance du hakka, ancrée dans sa culture de rugbyman océanien. Il peut aussi régler ses comptes sans nuance avec des coéquipiers jaloux ou des dealers de joueurs. A contrario, le personnage est également doté d’une grande sensibilité, qui lui permet de connaître une jolie histoire d’amour avec Coralie (Iliana Zabeth), une fille que se sont déjà partagée les membres de l’équipe mais chez qui Soane sait voir autre chose que le seul attrait sexuel. Au point d’accepter – même si, de par son histoire, la paternité est un enjeu particulièrement grave – d’être le père de l’enfant à naître, qui n’est pas de lui.

Tourné presque exclusivement avec des comédiens non professionnels que le cinéaste a rencontrés lors de ses séjours en Nouvelle-Calédonie ou de ses repérages, Mercenaire affirme décidément sa différence dans un cinéma plus enclin aujourd’hui à opter pour un casting plus « glamour ». Voilà un film qui a du caractère.

Mercenaire, Sacha Wolff, 1 h 44.

Cinéma
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