Réfugiés : Solidarités de terrain

Les centres d’accueil, gérés par l’État, ont besoin des associations pour offrir des conditions dignes aux migrants qui quittent Calais.

Vanina Delmas  • 19 octobre 2016 abonné·es
Réfugiés : Solidarités de terrain
© Photo : Geoffroy Van der Hasselt/AFP

Des dizaines de bus alignés aux abords du camp de Calais. Des files indiennes piétinant sur place, en attendant de monter à bord. Ce sera le signe irréfutable que le démantèlement à la fois tant redouté et tant attendu a commencé. Pour le moment, la date reste incertaine, mais quelques bus ont déjà conduit des dizaines de migrants vers « l’eldorado » des CAO, les centres d’accueil et d’orientation. Présentés comme la réponse nationale aux problème d’accueil, le sésame d’une nouvelle vie pour les migrants et la preuve que la destruction du camp sera une opération humanitaire, les CAO se sont multipliés dans quasiment tous les départements pour désengorger Calais. Jean-Michel a récemment ouvert une antenne de l’association Salam à Cergy (Val-d’Oise) et n’est pas rassuré par les témoignages qu’on lui rapporte des CAO. « Nous craignons vraiment de les envoyer dans des guet-apens. Un Soudanais que j’ai rencontré a passé neuf mois dans un centre pour SDF à Mende (Lozère), et n’a pas compris pourquoi et comment il s’était retrouvé là-bas », raconte-t-il. Pour éviter les mauvaises surprises, l’association Utopia 56 distribue régulièrement des « cartes de visite » aux migrants de Calais avec un contact de confiance s’ils se retrouvent mal orientés.

Démystifier la réalité des CAO apparaît comme l’ultime étape pour convaincre de nouveaux bénévoles et pour éviter aux migrants de s’engouffrer dans la spirale de la déprime. Depuis cet été, une page « Info CAO » est née sur Facebook, suivie par ses déclinaisons régionales. « Nous avons entendu parler d’autres CAO où cela se passait beaucoup moins bien car le soutien citoyen était plus faible, et il est apparu évident que nous avions besoin d’un outil pour centraliser toutes les informations liées à ces centres d’accueil », explique Nicolas [^1], administrateur de la page. Associés à l’Auberge des migrants et à Utopia56, ces bénévoles parviennent ainsi à effectuer un énorme travail de recensement des CAO, du nombre de places disponibles mais aussi des dysfonctionnements quotidiens de certains centres. « L’objectif principal est de mettre en place un réseau de citoyens qui veulent s’engager localement et de les informer pour qu’ils soient prêts le jour J, précise Léo, d’Utopia 56. Et pour éviter les différences de traitement dans les centres, un projet de “charte des CAO” est en cours. »

Chaque centre est géré par une association gestionnaire, en collaboration avec les services de l’État. Dans le Gers, l’association Regar a accueilli 70 hommes majeurs depuis janvier. Un premier centre a ouvert à 25 kilomètres d’Auch, puis un autre en centre-ville. « Nous essayons de les aider dans leurs démarches administratives, à faire valoir leurs droits et voulons leur apporter le nécessaire pour vivre dignement, mais il est vrai que certains se retrouvent assez démunis quand ils passent de Calais ou Paris à ce petit village, explique Martine Coulet, directrice de Regar. Nous avons des éducateurs, des psychologues, des agents d’entretien… Mais nous travaillons beaucoup avec les associations locales – Croix-Rouge, Emmaüs, la Banque alimentaire…»

Car si l’État pilote cet effort d’accueil national, sur le terrain, ce sont les associations et les citoyens qui prennent le relais. Dans le village de 4 000 habitants de La Guerche-de-Bretagne, près de Rennes, le CAO fonctionne à plein régime depuis fin 2015 : environ 250 personnes ont déjà profité de l’endroit. Un succès en partie dû au collectif citoyen regroupant le centre social, le Secours catholique et les Restos du cœur. « Nous nous occupions déjà de trois familles, puis le centre de soixante places a ouvert et nous avons rapidement réalisé que, sans notre soutien, les responsables du centre n’auraient pas les moyens de tout assumer, souligne Jeanne-Marie Thébault, leur porte-parole. Par exemple, nous organisons des petits cours de français, des initiations à la conversation. »

À Kerlaz, dans le Finistère, le collectif Fraternité Douarnenez multiplie les actions concrètes pour améliorer le quotidien des migrants de passage dans l’ancien internat transformé en centre d’accueil. En juin, 17 nouveaux sont arrivés, principalement originaires d’Afghanistan ou du Kurdistan irakien. La plupart sont encore là et s’intègrent progressivement à la population locale en étant bénévoles dans des festivals ou en donnant des cours de danse. D’ailleurs, l’un des premiers migrants accueillis l’année dernière, désormais logé au centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) de Lorient, revient régulièrement le week-end.

Malgré l’atmosphère chaleureuse que les bénévoles essaient d’entretenir, certaines situations marquantes révèlent toute la complexité de l’accueil. Nina se souvient particulièrement d’un Iranien, jeune père de famille, qui avait un visa touriste. « Persécuté dans son pays parce qu’il était chrétien, il a dû fuir le plus vite possible, d’où la solution du visa touriste. Arrivé en France, il est allé à Calais car tout le monde disait qu’il fallait aller là-bas, raconte-t-elle. Ici, il a vraiment déprimé car il pensait s’installer rapidement en France et faire venir sa famille. Lorsqu’il est parti, c’est un des rares qui m’a dit : “Je quitte enfin le CAO !” »

Cet accueil organisé ne répond pas à tous les profils et c’est alors à la bonne volonté des citoyens, des associations de prendre le relais, au cas par cas. Dans le Val-d’Oise, le collectif Art in the Jungle se mobilise pour loger Abdelhafez, à la rue depuis le 13 octobre. Originaire du Darfour, région du Soudan déchirée par la guerre depuis des années, il a traversée la Libye, la Méditerranée et l’Italie, puis est arrivé à Calais. Comme tant d’autres, il a laissé sa femme et ses trois enfants dans un camp de réfugiés au Soudan pour rejoindre l’Angleterre. Après huit mois dans la jungle, il a renoncé au rêve britannique et a obtenu un droit de résidence pour dix ans. Une lueur d’espoir dans le maelstrom de l’administration française, puis la désillusion. Le Cada de Noyon (Oise) lui a demandé de quitter les lieux, sans lui proposer d’alternative. « Sa situation actuelle est problématique car il a besoin d’un travail et d’un logement pour accueillir sa famille, mais même pendant son séjour au Cada, il a plusieurs fois eu envie de retourner à Calais ou à La Chapelle, à Paris, raconte Corinne, membre du collectif. Il était bien, car les appartements sont propres, mais il n’y avait aucune activité. Il a été déçu par les cours de français, insuffisants pour apprendre les bases et il ne pouvait ni peindre ni bricoler. Ce sont des choses minimes par rapport à la situation à Calais, mais tout ceci participe au bien-être moral, à la socialisation et permet de prendre son mal en patience. »

[^1] Le prénom a été modifié.

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