À bicyclette avec Albert Einstein

Le physicien Étienne Klein nous emmène avec humour et pédagogie sur les traces du père de la théorie de la relativité.

Denis Sieffert  • 30 novembre 2016 abonné·es
À bicyclette avec Albert Einstein

Sachant qu’il vous faudra deux heures pour lire le livre d’Étienne Klein confortablement assis dans un canapé, combien de temps vous prendrait la même lecture à bord d’un train lancé dans l’espace à pleine vitesse ? La devinette, qui est à peu près l’équivalent du kilo de plumes et du kilo de plomb, donne le ton du livre savant et joyeux d’Étienne Klein, qui se gausse des contresens à propos de la théorie de la relativité.

Le physicien, parti à bicyclette sur les traces d’Albert Einstein, manie l’humour à des fins délicatement pédagogiques et nous offre un livre métaphorique. Avec la simple observation d’une ligne de crête dans le Jura suisse ou d’une pendule de gare, on a une méditation bucolique et l’esquisse d’une théorie physique. Et lorsque Klein décrit la topographie de Le Coq-sur-Mer, ultime étape belge et européenne d’Einstein, c’est pour y apercevoir la géométrie d’Euclide. Tout est mêlé. Humour et gravité (et gravitation). Poésie et mathématique. Physique et métaphysique.

En cela, Klein est fidèle à celui dont il poursuit la mémoire. Car ainsi était Einstein, qui se posait en permanence de drôles de questions, du genre : « Que se passerait-il si je chevauchais un rayon de lumière ? » On dirait aujourd’hui de cet humaniste qu’il était sérieusement « décalé ». Un peu déjanté, même, et diablement subversif. Rétif à toute forme d’institution et d’autorité. Ce qui lui causa d’abord quelques ennuis.

C’est un rebelle que Klein nous fait découvrir au gré d’une biographie originale, dans laquelle on pourrait croire que l’auteur est le contemporain de son sujet. Nous visitons les lieux où Einstein a élaboré cette fameuse théorie qui a « révolutionné la relation entre l’espace et le temps ». Aarau, en Suisse, où il se trouve une famille adoptive, puis Zürich et Berne, où il va finalement écrire en 1905 ces cinq articles qui vont changer notre conception du monde.

Le lecteur un peu rompu à la physique sera comblé parce que les moments pédagogiques sont sans concessions. Les autres y trouveront leur lot d’humour et de poésie [^1]. Ils rencontreront surtout en Einstein un personnage étrange, et même un peu étranger au monde, voyant toujours autre chose que ce que ses yeux semblent fixer. Quelque chose derrière l’apparence. Klein dit discerner sur les photographies qui montrent Einstein se promenant avec un ami comme « un volume d’air » qui figure « une séparation ». On aura compris que « le pays qu’habitait Albert Einstein », c’est la physique. Cet éternel exilé contraint de fuir le nazisme n’en eut pas d’autre. Enfin, pour en revenir à notre devinette, prévoyez plutôt trois heures de lecture, même à bord d’un avion. Car, s’il y a dans le livre de Klein beaucoup de joyeuses descentes en roue libre, il y a aussi quelques routes de montagne escarpées, comme ce dialogue imaginaire entre Einstein et Galilée, que l’on aborde en danseuse. 

[^1] À ceux qui veulent « comprendre », je conseille l’article d’Étienne Klein dans notre hors-série « Révolution(s) ».

Le pays qu’habitait Albert Einstein, Étienne Klein, Actes Sud, 240 p. 20 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 
Entretien 10 décembre 2025 abonné·es

Valérie Masson-Delmotte : « Les questions de climat et d’énergie sont les premiers marqueurs de la désinformation » 

Il y a dix ans, lors de la COP 21, 196 pays s’engageaient dans l’accord de Paris à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis, la climatologue ne ménage pas son temps pour faire de la vulgarisation scientifique et reste une vigie scrupuleuse sur la place des faits scientifiques.
Par Vanina Delmas
Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre
L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement
Histoire 4 décembre 2025

L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement

Ce texte fut ensuite amendé par certains militants et grandes signatures, en premier lieu celle de Pierre Bourdieu. Mais les cinq rédacteurs de sa première version – qu’a retrouvée Michèle Riot-Sarcey et que nous publions grâce à ses bons soins – se voulaient d’abord une réponse aux soutiens au plan gouvernemental.
Par Olivier Doubre