Israël : Les colombes envolées

Le sociologue Samy Cohen retrace l’histoire du « camp de la paix » israélien, et analyse les causes de son déclin.

Denis Sieffert  • 2 novembre 2016 abonné·es
Israël : Les colombes envolées
© Photo : HAVAKUK LEVISON/UPI/AFP

« Mais où est donc passé le légendaire camp israélien de la paix ? » Cette bonne question ouvre l’enquête que Samy Cohen a consacrée à ces « colombes » de moins en moins visibles dans la société israélienne. Pour tenter d’y répondre, le politologue retrace d’abord l’historique de cette résistance pacifique au cœur d’un pays qui se vit toujours en guerre. Il remonte pour nous le fil de l’histoire bien avant la création de l’État, évoquant notamment la forte figure de Gershom Sholem et, plus près de nous, celle d’Uri Avnery, toujours sur la sellette, qui dès le début des années 1970 transgressa un interdit en rencontrant un dirigeant de l’OLP. Il cite également le Matzpen, fondé en 1962, mouvement antisioniste, partisan d’un État binational judéo-arabe, qui regroupait des militants communistes en rupture, des trotskistes et des maoïstes.

Mais la grande affaire du livre de Cohen, c’est le mouvement La Paix maintenant. Son irruption sur la scène politique date de 1978, et son apogée de la grande manifestation du 24 septembre 1982, après le massacre de Sabra et Chatila. Un huitième de la population d’Israël dans la rue ! Paradoxalement, le déclin s’amorça avec les accords d’Oslo, en 1993. Samy Cohen souligne les « médiocres rapports » que le mouvement entretenait avec Yitzhak Rabin. La Paix maintenant entra en conflit avec le Premier ministre quand celui-ci fit emprisonner dans des conditions épouvantables des militants du Hamas à la suite de l’assassinat d’un garde-frontière israélien. Mais la critique se fit du bout des lèvres. Le Mouvement se trouva alors piégé dans des relations que l’on pourrait comparer à celles d’un syndicat avec un gouvernement de gauche…

Le mérite de Samy Cohen est de ne pas nous servir l’habituelle soupe propagandiste quand il s’agit de déterminer les causes de la « droitisation » du pays. Il n’épargne ni Rabin, qui, dit-il, n’a jamais arrêté la colonisation, ni surtout Pérès, coupable d’avoir manqué, début 1996, sans doute la plus belle occasion d’accélérer le processus de paix. Il pointe tout autant les responsabilités d’Ehud Barak dans l’échec du sommet de Camp David, en juillet 2000, et les ravages du fameux « nous n’avons plus de partenaires pour la paix ». Un discours autodestructeur pour la gauche israélienne. Pourtant, Samy Cohen ne conclut pas à la disparition du camp de la paix, mais plutôt à sa mutation en une multitude de petites organisations d’une « vitalité insoupçonnée ».

Le principal reproche qu’on pourrait lui adresser est d’avoir réduit son angle au seul mouvement La Paix maintenant, souvent ambivalent, et incapable de rompre avec les appels au patriotisme. On peut être pour la paix, à condition d’être absolument sioniste. Ce qui explique qu’une personnalité comme Michel Warschawski, qui se définit comme militant anticolonialiste, n’a droit qu’à une citation, pour l’histoire. Ce livre, documenté et intéressant, s’en trouve affaibli.­

Israël et ses colombes, Samy Cohen, Gallimard, 318 p., 25 euros.

Monde
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