La folie de Donald Trump « peut briser la « pax americana » »

Selon l’économiste américain Robert Guttmann, l’élection de Donald Trump ouvre une période d’instabilité qui pourrait redessiner l’économie mondiale.

Erwan Manac'h  • 15 novembre 2016 abonné·es
La folie de Donald Trump « peut briser la « pax americana » »
Photo prise le 9 novembre lors d'une manifestation contre l'élection de Donald Trump, près de la Trump tower.
© Bilgin S. Sasmaz / ANADOLU AGENCY.

Difficile de se fier aux promesses électorales de Donald Trump. La ligne politique de l’homme d’affaires, instable et colérique, risque davantage de s’écrire dans les réseaux d’influence qui l’entoure, estime Robert Guttmann, économiste à Paris XIII et à l’Hofstra University de New York. Ses coups de sang et la brutalité de ses propositions pourraient en revanche ébranler l’équilibre économique mondial, déjà affaibli, qui repose sur le dollar comme monnaie international. Alors, une crise de la dette américaine ne serait plus exclue.

Comment analysez-vous la victoire de Donald Trump ?

Robert Guttmann : C’est une surprise. Il y a un degré de colère et une couche de l’électorat que les sondages n’ont pas été capables de mesurer. Cette classe ouvrière marginalisée, qui ne votait pas habituellement, n’a pas été prise en compte.

Le Voting rights act, voté en 1965 pour supprimer les discriminations envers les électeurs noirs, a été partiellement annulé par la Cour suprême, ce qui a entraîné des modifications sur l’identification des électeurs – certains États demandent une pièce d’identité avec photo, document facultatif et payant aux États-Unis - et des changements de bureaux de vote qui ont engendré d’importants dysfonctionnements. 35 000 plaintes ont été enregistrées, le 8 novembre, par une coalition non partisane.
 Lire le texte de Didier Fassin et Anne-Claire Defossez.

La suppression partielle du Voting Rights Act, il y a deux ans, a entraîné des radiations d’électeurs noirs dans la Caroline du Nord, le Wisconsin, la Philadelphie, où c’était crucial. C’était une élection manipulée. C’est toute l’ironie et la tragédie de ce vote, car Donald Trump a fait campagne en clamant que le vote allait être manipulé.

Avec la fin des dynasties républicaines et démocrates, représentées par les Bush et les Clinton, les deux partis sortent affaiblis et divisés de ce scrutin. Les Républicains ont gagné une majorité totale au congrès. Mais le parti est divisé en 3 ou 4 groupes. Leurs divisions étaient jusqu’à aujourd’hui annulées par leur colère commune contre la dynastie Clinton et Obama. Maintenant que ces deux derniers ont disparu, les divisions risquent de sortir ouvertement.

La situation qui en résulte est extrêmement instable.

Donald Trump pourrait donc être doté d’un pouvoir énorme ?

R.G. : Il faut garder à l’esprit qu’il est complètement bête. Son degré d’ignorance est totalement terrifiant. Vous ne pouvez pas imaginer la somme de connaissances nécessaires pour la fonction de président. Lui n’a même pas le désir de savoir. Il ne lit que le National Enquirer, un tabloïd. Il est aussi mégalomane et instable. Il a toujours peur que les autres tentent de le détruire. C’est un désastre total.

Cela signifie qu’il sera sous le contrôle des gens qu’il va choisir pour son équipe. Ce sont eux qui prendront les décisions. Il sera capturé par une équipe de vieux blancs, carbonisés, qui ont une dernière chance de revenir sur la scène politique à cause de lui, et qui ont beaucoup de comptes à régler, comme Rudy Giuliani ou Sarah Pallin.

C’est une droite extrême, composée de fondamentalistes chrétiens, homophobe et anti-avortement. Or, s’ils prennent des initiatives sur ces deux sujets, les gens, et notamment les jeunes, seront mobilisés contre eux. Je crains donc des temps très instables, y compris dans la rue. Il s’agit aussi d’une guerre générationnelle.

À quoi pourrait ressembler la politique économique de Donald Trump ?

R.G. : Il devrait y avoir une politique de stimulation fiscale, avec une diminution des impôts pour les riches et une forte baisse de la taxe sur les bénéfices des sociétés. Donald Trump veut également mener un gros programme d’investissement sur les infrastructures, mais une grande partie du Parti républicain est contre. Il aura donc besoin des Démocrates.

Le programme de stimulation fiscale, extrêmement coûteux, pourrait provoquer d’importants problèmes. Car, avec le dollar comme monnaie internationale, cette politique est, de fait, financée par le reste du monde : actuellement, lorsqu’un pays a une balance commerciale excédentaire [parce qu’il exporte plus de marchandises qu’il n’en importe, NDLR], il achète automatiquement des bons du trésor américain, [les titres financiers de la dette des États-Unis, NDLR].

Mais si la crédibilité des Américains est entachée à cause de la folie de ce gouvernement, il pourrait y avoir une rupture de ces canaux de recyclage des excédents commerciaux des autres pays. Le risque, c’est l’érosion du statut international du dollar. Ce serait bien plus grave qu’une simple fluctuation en fonction de l’offre et de la demande de change. Les États-Unis pourraient alors avoir des difficultés à trouver des financements.

C’est un gros risque si Donald Trump révoque l’accord de Paris sur le climat, s’il fait exploser l’Otan et lance une guerre commerciale pour sortir de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain, ou limiter les exportations de la Chine. Il est également en train d’attaquer l’indépendance de la banque centrale, parce qu’il déteste Janet Yellen, la cheffe actuelle de la Federal Reserve.

Le risque, au bout du compte, est une destruction de la pax americana, [la paix américaine], qui existe depuis plus d’un demi-siècle, en rompant la position centrale des États-Unis comme garantie d’un ordre libéral mondial. C’est une position déjà graduellement affaiblie. Cela pourrait s’accélérer. Avec une contagion du sentiment négatif global sur les États-Unis.

Monde
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