Mollo sur la production de bourbe

Pascal Bruckner suggère assez tranquillement que l’islamophobie serait un « racisme imaginaire ».

Sébastien Fontenelle  • 2 novembre 2016 abonné·es
Mollo sur la production de bourbe
© MIGUEL MEDINA / AFP

Les éditions Grasset, où se publient également les impérissables ouvrages de Caroline Fourest et de Philippe Val (liste non exhaustive), annoncent pour le prochain mois de janvier la parution d’un nouveau livre de l’essayiste Pascal Bruckner – en qui d’aucun(e)s, parmi la presse dominante, voient aussi un, je cite, « philosophe », et que nous appellerons ici Pee Bee, pour gagner du temps et de la place [^1].

Pee Bee est connu pour le sérieux de ses travaux. Il y a quelques années, par exemple, il allait bramant partout – et en chœur avec la même Caroline Fourest que tout à l’heure – que le mot « islamophobie » était une invention des mollahs d’Iran. C’était faux, mais ce bobard n’a aucunement disqualifié son auteur, qui explique désormais avec la même assurance, dans la note de présentation de son nouveau bouquin (NB), qu’il s’agit d’un « vieux mot de l’époque coloniale » « réinventé et transformé en arme de guerre par les mollahs iraniens qui ont fait de la foi du Prophète un objet intouchable ». (Je profère une connerie, puis, quand elle a été mise en évidence, je vais tranquillement mon chemin de prosateur mainstream, en faisant comme si jamais je ne l’avais dite : je vais pas me gêner, puisque de toute façon personne, dans la journalisterie qui acclame en chacun de mes écrits une merveille d’iconoclastie, ne me fera l’affront de pointer que j’ai divagué.)

Mais voici qu’après avoir donc essayé d’abord de disqualifier un mot (presque) partout admis, Pee Bee n’est désormais pas loin de nier la réalité même que ce vocable désigne. Puisqu’il suggère, assez tranquillement – c’est le titre de son NB [^2] –, que l’islamophobie serait, assieds-toi, « un racisme imaginaire ».

Et certes : dans la vraie vie, la perpétration régulière d’actes antimusulmans au prétexte précis de l’appartenance religieuse des victimes est une réalité dûment documentée – par le ministère de l’Intérieur, par exemple, qui n’est pas exactement un repaire d’islamo-gauchistes échevelé(e)s. Et certes encore : il suffit de se pencher vingt secondes sur ce que produisent quotidiennement la presse et les médias français – ne parlons même pas des saillies infectes par quoi s’illustre la classe politicienne – pour observer que la stigmatisation des mahométan(e)s y est devenue, au prétexte dégueulasse de l’anticonformisme, une discipline journalistique à part entière.

Mais, dans une époque où les succès de librairie d’un Zemmour ont amplement démontré que la vileté faisait vendre, comment demander à un éditeur d’y aller mollo sur la production de bourbe ?

[^1] Je rappelle que ça fait maintenant 600 000 ans que je réclame pour cette chronique un troisième feuillet, qui me permettrait donc, notamment, d’écrire en toutes lettres les noms de nos plus hauts penseurs. J’ai saisi l’ONU, je te tiendrai au courant.

[^2] Dont la couverture, illustrée par la photo d’une jeune femme portant un voile intégral bleu-blanc-rouge, semble être directement inspirée de (plus ou moins) vieilles couvertures du Figaro magazine et de Valeurs actuelles, fleurons de la presse réactionnaire.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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