Negin Farsad : Rire avec l’Amérique blanche

La comédienne iranienne-américaine Negin Farsad revient sur son parcours et sur les défis de son métier à l’ère Trump.

Pauline Guedj  • 16 novembre 2016 abonné·es
Negin Farsad : Rire avec l’Amérique blanche
© Photo : Andrew Walker

Silence radio. Pendant toute la campagne, Negin Farsad n’a cessé de s’exprimer sur les réseaux sociaux, dénonçant les prises de position de Donald Trump, comparant celles d’Hillary Clinton et de Bernie Sanders. Mais ce mardi, lorsque la Floride vire au rouge, signe avant-coureur de la victoire du milliardaire républicain, Negin n’en a plus la force.

« J’étais sur scène. Après le spectacle, nous sommes sortis dans un bar, mais il était impossible d’être jovial. Je suis rentrée chez moi et je me suis couchée en espérant que le cauchemar aurait cessé au matin. J’avais besoin, pour une nuit encore, de vivre dans une Amérique qui n’avait pas élu Donald Trump. C’est la première fois qu’une élection me touche autant. Quand Trump dénigre les musulmans, quand il s’en prend aux Mexicains, il parle de moi, de mes parents, de mes amis… »

Aux États-Unis, Negin Farsad est une figure montante du stand-up. Réalisatrice, metteuse en scène, auteure d’un récit autobiographique très drôle, How to Make White People Laugh (« Comment faire rire les Blancs ») (1), elle figure dans les principaux classements des comiques américains à ne pas louper. Fille d’un couple d’immigrés iraniens installés aux États-Unis dans les années 1970, la jeune femme affiche avec fierté son identité à trait d’union, -iranienne-américaine, « marron », musulmane, une identité « de la troisième chose », ni noire ni blanche, qu’elle exprime avec verve dans ses sketchs.

« J’ai grandi en Californie, à Palm Springs, une ville de retraités où il n’y avait ni musulmans ni Iraniens. À la maison, je parlais deux langues, et aucune n’était l’anglais. Mon éducation était très différente de celle de mes camarades de classe. »

Pourtant,il manque à Negin un sentiment de communauté. Dès l’adolescence, commence alors un long processus de formation personnelle fait de projections dans d’autres groupes. Il y a d’abord les Mexicains, nombreux dans son lycée, puis, à l’entrée à l’université, les Afro-Américains : « Je pouvais citer Malcolm X et Medgar Evers, et j’ai obtenu un master en études africaines–américaines. À vrai dire, je savais que ce combat n’était pas le mien, mais je pensais qu’il était suffisamment proche de mon vécu pour que je m’y retrouve. Je voyais cette culture minoritaire développée, structurée, et je me suis dit : je la prends ! »

Comme pour beaucoup de musulmans des États-Unis, la donne change avec le 11 Septembre. La montée de l’islamophobie est un déclencheur. La jeune femme envisage une carrière politique. Elle s’investit auprès de plusieurs instances publiques à New York, s’ennuie et choisit finalement la comédie. Dans ce métier, Negin voit un prolongement de son engagement. « Comique pour la justice sociale », elle se veut une artiste non partisane, utilisant l’humour pour déconstruire les inégalités et mettre en évidence l’absurdité des politiques sociales.

Il y a quelques mois, alors que la campagne bat son plein, Negin Farsad installe à -Washington Square, à New York, un stand pour ce qu’elle nomme le « test du bacon ». « Pendant la campagne, un des rares projets clairs de Trump a été l’interdiction d’entrée des musulmans sur le territoire national. Mon intention était donc de prendre son programme à la lettre et de tester sa logique. Or, pour inscrire les musulmans sur un registre, il est nécessaire de mettre en place un test religieux. Je me suis donc installée dans la rue et j’ai alpagué les passants en leur demandant s’ils étaient musulmans. S’ils disaient non, je leur demandais de me le prouver en mangeant du bacon. Tout refus, même s’il venait par exemple d’un juif ou d’un végétarien, conduisait à inscrire son nom dans le registre ! »

En 2012, dans un effort de lutte contre l’islamophobie, Negin Farsad s’était déjà lancée, avec la complicité du comédien Dean Obeidallah, dans une performance scénique itinérante intitulée The Muslims are Coming ! (« Les musulmans arrivent ! ») L’objectif : rassembler un groupe de comiques musulmans et les emmener dans les États du Sud, ceux que Trump a remportés haut la main, pour faire rire et répondre aux questions du public.

Les spectacles étaient gratuits, suivis de séances de discussion. Des stands avaient été installés sur les places principales des villes pour discuter avec les badauds. « Si vous n’aviez jamais eu d’amis musulmans, nous voulions être les premiers. » Parmi les questions les plus fréquentes : celles du voile et de la supposée non-dénonciation des attentats par les populations musulmanes. Negin se veut pédagogue, tente de comprendre la nature des interrogations, répond avec patience.

The Muslims are Coming ! représente le point d’orgue de l’approche Farsad. Pour elle, l’objectifest aussi de s’adresser à l’Amérique du mainstream. « Faire rire les Blancs est ce que j’essaie de faire depuis mes débuts. Si on veut influencer la culture dominante, si on veut toucher les structures du pouvoir, il faut délibérément aller vers eux, créer le dialogue. » Dans cette optique, avoue-t-elle, l’élection de Trump est tout de même un coup de massue : « Récemment, nous avons eu des victoires symboliques. Nous avons eu un président noir et des gouverneurs femmes. Mindy Kaling a sa propre série à la télévision. Kevin Hart fait des tournées dans les stades. La carrière de Beyoncé a explosé. On a presque cru que tout allait bien et on s’est perdus dans ces victoires symboliques. En fait, c’est comme si on avait mis du rouge à lèvres à un cochon en oubliant que le cochon était raciste, et on a laissé la bigoterie s’installer. Alors maintenant je vais reprendre des forces, peut-être laisser passer Thanksgiving, et puis je vais m’y remettre, continuer à me battre. »

(1)How to Make White People Laugh, Negin Farsad, Grand Central Publishing, 148 p., 14,99 dollars.

www.howtomakewhitepeoplelaugh.com

Culture
Temps de lecture : 5 minutes

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