Éloge de la lenteur

Dans Jim Jarmusch, une autre allure, Philippe Azoury donne une vision personnelle et pénétrante de l’univers du cinéaste.

Christophe Kantcheff  • 21 décembre 2016 abonné·es
Éloge de la lenteur
© Sara Driver

Voici un petit livre personnel sur un cinéaste, Jim Jarmusch, auquel l’édition, en France, ne s’est pas encore suffisamment intéressée. Personnel parce que Philippe Azoury emploie le « je » à plusieurs reprises, mais aussi parce qu’on sent une proximité générationnelle entre les deux hommes. Or, la question de la génération, pour appréhender Jim Jarmusch, est essentielle. Son univers s’enracine en effet dans le New York du Lower East Side de la fin des années 1970 et du début des années 1980, celui du CBGB, boîte devenue mythique où se produisaient Television, Patti Smith ou Talking Heads, des poèmes de -Burroughs et de Ginsberg et des films indépendants.

Profondément marqué par cette culture underground, Jim Jarmusch devient instantanément une icône new wave quand est -présenté avec succès à la Quinzaine des réalisateurs, en 1984, Stranger Than Paradise, qu’on croyait être sa première œuvre – Permanent Vacation (1980) étant un film de fin d’études « détourné ». Mais le cinéaste n’a pas le tempérament à être un emblème, ni ne souhaite forcément coller à son époque, même s’il a tôt fait de capter les ruines à venir du reaganisme triomphant – cf. le magnifique travelling latéral ouvrant Down by Law (1986).

Ayant tourné le dos à -Hollywood, qui lui a rapidement fait les yeux doux, Jim Jarmush trouve sa liberté chez les minoritaires. Philippe Azoury rappelle qu’à la question « Qu’est-ce que le cinéma ? », posée par la revue Trafic, il avait conclu son texte par une phrase de Godard : « L’important n’est pas où on prend les choses, c’est jusqu’où on les mène. » Aucune nostalgie chez lui. S’il puise dans sa vaste culture des éclats cinéphiliques, musicaux, -littéraires, etc., ce n’est pas pour faire du vintage mais pour inscrire ceux-ci dans le temps présent.

Surtout, ce que Philippe Azoury met le plus en avant du cinéma de Jarmusch, c’est son rythme. « Il ne sait pas encore que c’est sa force, la lenteur, écrit l’auteur à propos du héros de ce joyau qu’est Dead Man (1995). Un jour, elle détraquera la machine, enrayera ses rouages. Et il plongera seul dans le problème du temps ». C’est la splendide langueur de Ghost Dog (1999), l’étirement de The Limits of Control (2009). Jim -Jarmusch, de film en film, cherche à créer une autre durée, « une autre allure ». « L’ennemi du contrôle, c’est le temps long. » Le Jarmusch d’Azoury est un dandy perturbateur, antidote à l’usure du regard. On en -redemande.

Jim Jarmusch, une autre allure, Philippe Azoury, Capricci, 106 p., 8,95 euros. En librairie le 5 janvier.

Cinéma
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