Internationale rasta

Signé de quatre auteurs, Negus Christ revient sur l’histoire polymorphe du mouvement rastafari, entre musique, religion et retour à l’Afrique.

Pauline Guedj  • 14 décembre 2016 abonné·es
Internationale rasta
© Jean-Pierre DEGAS/Prismapix/AFP

Le 2 novembre 1930, Haïlé Sélassié est couronné empereur d’Éthiopie. Événement en Afrique, la nouvelle se répand bientôt à travers le globe. Aux États-Unis, elle est saluée par de nombreux intellectuels qui, depuis longtemps, regardent l’Éthiopie – une terre africaine qui n’a alors jamais subi le joug colonial – comme un symbole de la libération future du continent. En Jamaïque, elle aura des répercussions historiques : la création d’un mouvement religieux et politique, Rastafari, nommé ainsi en hommage à l’identité civile de l’empereur, Ras (roi) Tafari Makonnen.

Dans la Caraïbe, l’adoubement d’Haïlé Sélassié fera écho à une parole prophétique du leader panafricain Marcus Garvey : « Regardez vers l’Afrique, où un roi noir doit être couronné. » Il est l’aboutissement d’une idéologie, l’éthiopianisme, forgée autour d’une vaste entreprise de retour symbolique et tangible vers le continent africain.

Aujourd’hui, plus de quatre-vingts ans après sa création, -Rastafari est parfois l’objet de représentations stéréotypées, mais aussi de recherches spécialisées à l’affût de ses structures. D’un côté, le mouvement est connu pour ses pratiques emblématiques : le style capillaire, ces fameuses dreadlocks, l’alimentation végétarienne (ital), le respect de la nature et des relations fraternelles (livity), la consommation du cannabis que l’on fume lors des rassemblements collectifs, les reasoning.

Pour beaucoup, le mouvement rasta est associé à une musique qui, bien que non liturgique, a grandement contribué à sa popularité. Difficile en effet de dissocier Rastafari du reggae, difficile de ne pas entendre les airs de Bob Marley lorsque l’on évoque son histoire, difficile aussi de ne pas l’enfermer dans cette épopée musicale. D’un autre côté, pour les chercheurs, le mouvement rasta a souvent été élevé au rang d’archétype. Archétype des syncrétismes afro-américains du Nouveau Monde. Archétype d’une logique de résistance aux hiérarchies, propre des populations de la diaspora noire, selon l’anthropologue Christine -Chivallon.

Entre recherche et témoignages, Negus Christ rompt à la fois avec la vision populaire de Rastafari et avec son approche scientifique parfois systématisante. En proposant une description pluridirectionnelle, le livre rend au mouvement toute sa complexité et insiste sur son dialogue avec plusieurs champs de la vie sociale, musique, religion et politique.

Tout dans le texte, jusqu’à sa construction, est polymorphe. Fruit des réflexions de deux historiens, d’un anthropologue et d’un professeur de lettres, il comprend des analyses, des descriptions de rituels et de lieux, des photographies, des entretiens avec des chercheurs dans lesquels ceux-ci reviennent aussi bien sur le contenu de leurs travaux que sur leur démarche personnelle, et, peut-être de manière plus décisive encore, des paroles de fidèles. On y trouve le récit de l’un des fondateurs du mouvement, les propos des membres londoniens de l’Ethiopian World Federation, les paroles de musiciens de reggae interviewés par Boris Lutanie.

Multiplicité des voix, multiplicité de regards, le livre met en lumière avec efficacité le fondement excessivement complexe de Rastafari, un mouvement fait de plusieurs organisations aux objectifs parfois contradictoires et qui a posé sur l’Afrique un regard constant et fondamental.

À cheval entre le Nouveau Monde, l’Europe et l’Afrique, l’histoire du mouvement rasta est alors aussi celle d’une globalisation culturelle. Dorénavant, celle-ci connaît plusieurs ports d’attache : la Jamaïque, l’Éthiopie, où des centaines de Rastas sont aujourd’hui installés, les États-Unis, la France et l’Angleterre, où s’est forgée une partie de la recherche, le monde dans sa quasi-intégralité, où le mouvement s’est diffusé surtout par l’intermédiaire de la musique.

Transnationalisation d’une expérience caribéenne, le mouvement pose alors, par ses origines et son développement, des questions incontournables. Comment articuler les spécificités de l’expérience noire avec leurs diffusions à l’échelle de la planète ? Comment lier particularismes régionaux et visées universalistes ? Quels discours crée ce tiraillement entre local et global ? Face à ces questions, le livre a l’intelligence de ne jamais imposer de réponses radicales. Seulement une série de points de vue tout en nuances.

Negus Christ. Histoires du mouvement rastafari, Giulia Bonacci, Robert A. Hill, Jakes Homiak, Boris Lutanie, Afromundi, 214 p., 15 euros.

Culture
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