L’enfance terrible de l’art

Avec Not Afraid of Love, la Monnaie de Paris présente l’œuvre ironique de Maurizio Cattelan avec une belle inventivité.

Jérôme Provençal  • 21 décembre 2016 abonné·es
L’enfance terrible de l’art
© Zeno Zotti

Doyenne des institutions françaises, fondée en 864 par Charles II, la Monnaie de Paris connaît une nouvelle jeunesse depuis sa réouverture en 2014, après trois ans de travaux. Le mérite en revient à son actuel PDG, Christophe Beaux, qui a souhaité faire de la vénérable institution une place forte du dialogue entre la création contemporaine et les métiers d’art.

Amorcé dès avant les travaux, avec des expositions d’artistes tels que David -LaChapelle (2009) ou Willy Ronis (2010), ce basculement vers la modernité s’est confirmé et accentué à partir de2014, sous l’impulsion de Chiara Parisi, nommée directrice des programmes culturels de la Monnaie de Paris en 2011. Après diverses initiatives hors les murs durant les travaux, celle-ci frappe fort en proposant à l’automne 2014, date d’ouverture au public des espaces rénovés du quai de Conti, Chocolate Factory, autour du sulfureux artiste américain Paul McCarthy. Plusieurs expositions d’envergure ont suivi, en particulier celle consacrée début 2016 à Jannis Kounellis – l’un des pionniers de l’arte povera.

Amenée à quitter ses fonctions prochainement, Chiara Parisi signe, en fin de mandat, une exposition qui semble synthétiser ses options esthétiques et revêt une indéniable valeur de manifeste. Intitulée Not Afraid of Love, et visible jusqu’au 8 janvier, elle met à l’honneur l’une des figures phares de l’art contemporain : l’Italien Maurizio Cattelan.

Ayant démarré son parcours artistique dans les années 1980, cet autodidacte aujourd’hui âgé de 56 ans, issu d’un milieu populaire, a véritablement percé durant les années 1990 et jouit désormais d’une cote très élevée (certaines de ses œuvres ont atteint des sommes rondelettes chez Sotheby’s ou Christie’s). Une telle reconnaissance marchande peut évidemment laisser perplexe s’agissant de celui qui, à travers ses créations, porte un regard hautement ironique sur la vie en général et (le marché de) l’art en particulier. On peut aussi la voir comme un pied-de-nez ultime venant de l’auteur de L.O.V.E (2011), l’une de ses plus fameuses installations/sculptures, aux dimensions imposantes : une main posée au sol, le majeur fièrement tendu vers la Bourse de Milan.

Dans le sillage de Marcel Duchamp, Dada et Andy Warhol, Cattelan façonne un art à la fois minimaliste et iconoclaste, tordant à plaisir les codes de la représentation et s’adonnant avec une malice enfantine aux joies de la provocation. N’étant pas italien pour rien, il montre un intérêt prononcé (et distancié) pour l’imagerie religieuse. En témoignent les -variations sur génuflexions et crucifixions qui jalonnent son corpus, ainsi que La Nona Ora (1999), représentant le pape Jean-Paul II terrassé par une météorite.

Pièce emblématique, La Nona Ora occupe une place de choix dans Not Afraid of Love : après avoir gravi le grand escalier (lui-même orné de pièces remarquables), le visiteur la découvre dans la première salle, où elle est subtilement mise en regard/-résonance avec Tamburino (2003), sculpture sonore donnant à voir et à entendre un enfant haut perché jouant du tambour à intervalles réguliers. Ce principe est appliqué dans toute l’exposition, conçue comme une traversée, tout sauf révérencieuse, de l’œuvre de -Cattelan.

Fidèle à l’esprit frondeur de l’artiste, le parcours – dont la scénographie est un modèle d’intelligence décalée (notamment les cartels accompagnant les œuvres) – suscite la surprise tout du long, même si l’on connaît bien l’univers de -Cattelan. En guise de point (d’interrogation) final, apparaît Him (2001), l’une des pièces les plus controversées : vu de dos (priant à genoux), un enfant ; vu de face, Adolf Hitler.

Not Afraid of Love, à la Monnaie de Paris, Paris VIe, jusqu’au 8 janvier, 01 40 46 56 66 ou www.monnaiedeparis.fr

Culture
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