Protection judiciaire de la jeunesse : Réparer l’enfance

Les ados pris en charge dans les unités de jour de la Protection judiciaire de la jeunesse cherchent d’abord à reprendre un rythme et confiance en eux. Reportage.

Ingrid Merckx  • 21 décembre 2016 abonné·es
Protection judiciaire de la jeunesse : Réparer l’enfance
© PHILIPPE MERLE/AFP

L’enseignante tient un grand cahier ouvert. Sa main droite soutient par le bas l’objet, qui doit mesurer dans les 70 centimètres de haut et 1 mètre de large. Sa main gauche tente de tourner les pages sans que l’ensemble ne bascule. « Quoi ma tête ? », est-il écrit sur une double page où des formes arrondies représentent des drôles de crânes. « Tête à l’envers, tête en l’air… On a travaillé autour de ces expressions, vous les connaissez ? », interroge cette prof d’arts plastiques en levant le regard. En face, les cinq jeunes qui suivent son atelier opinent. « Tête dans les nuages, comme quand on mange un Kinder… », ose l’un, d’un ton gamin, qui garde un bonnet vissé sur ses cheveux mi-longs et frisés, alors qu’il doit faire 25 °C dans la pièce. Son voisin de droite a gardé sa casquette. Et celui de gauche des lunettes de soleil aux reflets jaune fluo relevées sur le front. Il n’y a que les deux du fond qui vont tête nue, ayant l’air de ceux qui suivent, tout en semblant un peu ailleurs.

Engourdissement post-déjeuner ? Manque d’intérêt pour cette quatrième séance d’arts plastiques depuis la rentrée ? Ces cinq « jeunes PJJ », comme on les appelle, notamment à l’école maternelle du quartier avec qui ils montent un projet d’échanges artistiques dans le cadre du Festival d’automne à Paris, sont inscrits en formation Bafa – brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur. Sous le coup d’une mesure judiciaire, déscolarisés, désocialisés, parfois en rupture familiale, ils sont envoyés par les professionnels du « milieu ouvert » dans cette structure d’insertion de la Protection judiciaire de la jeunesse.

Ce service, qui dépend du ministère de la Justice, garde comme texte de référence l’ordonnance de 1945, posant comme principe une responsabilité pénale atténuée des mineurs doués de discernement et la primauté de l’éducatif sur le répressif. Le milieu ouvert, c’est le milieu de vie habituel des jeunes et des familles. Ceux qui suivent cet atelier repartent chez eux en sortant. Ou retournent en foyer. « On en a eu certains qui étaient sans domicile fixe », glisse un éducateur dans le couloir. Excepté les mineurs étrangers isolés, les jeunes malades et les grands délinquants, « difficile de faire plus désocialisés que les jeunes qui viennent ici », commente le directeur territorial de la PJJ, passé faire un tour dans cette structure située rue de Romainville, à Paris, à l’occasion de la journée portes ouverte organisée cet automne.

En juin prochain, ces cinq-là pourraient donc avoir obtenu le diplôme qui permet d’encadrer des enfants en centres de loisirs, centres sportifs ou colonies. Comment les personnels de l’Éducation nationale et de l’animation accueillent-ils les jeunes PJJ ? Le directeur ouvre de grands yeux. « On ne dit jamais quels délits ils ont commis ! Pas plus aux structures publiques et associatives qu’aux entreprises qui les acceptent en formation. » Principe de confidentialité, bien sûr, mais pas seulement : il s’agit de ne pas les enfermer dans ce qu’ils ont fait. « Ces jeunes n’ont pas de casier, précise un éducateur en aparté, ils n’ont pas commis de violences sur des personnes, plutôt des vols, à la rigueur à l’arraché. Pour la plupart, ils ont vendu du shit. » Pas forcément beaucoup, mais ils se sont fait prendre à plusieurs reprises. Et, chaque fois, la note s’alourdit. Ajouté à un décrochage scolaire, souvent à des problèmes familiaux, et c’est la bascule.

Délinquant une fois ou deux ne veut pas dire délinquant toujours. Les « Chiffres clés de la délinquance juvénile » publiés par la PJJ rappellent que les infractions commises sont majoritairement non violentes : 38 % sont des atteintes aux biens sans violence. « Sur l’ensemble des 10-17 ans, seuls 3,6 % sont mis en cause dans une affaire pénale », souligne la PJJ, qui insiste sur le faible taux de récidive : « Dans 65 % des cas, le mineur en cause n’aura plus affaire à la justice avant ses 18 ans. » Et heureusement car, pour les récidivistes, la justice est plus sévère : « Dans 95 % des cas, elle prononce une sanction pénale – prison, amende, travaux d’intérêt général… »

La PJJ s’est fondée sur l’idée qu’un délinquant est aussi une victime et qu’il peut changer, se réinsérer, et qu’il est de la responsabilité de la société de s’occuper de son avenir. D’où ces ateliers : arts plastiques le lundi, musique le mardi, cuisine le mercredi, ébénisterie, etc., pour se resocialiser, reprendre un rythme d’activités quotidiennes après un parcours jalonné d’absences, reprendre confiance en soi et dans les adultes, reconquérir de l’estime, acquérir des compétences, à visée professionnelle pourquoi pas, mais c’est un horizon lointain. L’horizon proche, c’est la perspective « d’épanouissement ».

L’épanouissement des délinquants pourrait sembler peu prioritaire. C’est là un des objectifs de ces journées portes ouvertes organisées dans plusieurs structures volontaires en France : changer le regard. Parce que ces jeunes sont des enfants. Et parce que la réparation passe par le retour de la confiance et du plaisir. D’où l’importance de les « accrocher ».

« Vouloir travailler avec des enfants, c’est toujours un peu pour réparer son enfance à soi », analyse un éducateur, dans la petite cuisine qui fait face à la salle où se tient l’atelier arts plastiques. Les cinq jeunes sortent de leur atelier. Ils traînent un peu dans le hall puis se retrouvent sur le perron, certains sortent une cigarette. Réticents à parler en tête à tête mais d’accord pour une discussion collective, ils confirment : travailler avec des enfants les tente. Parce qu’ils ont des petits frères et sœurs. Parce que les enfants leur semblent plus fréquentables que les adultes, qu’ils ne les jugent pas, ne les regardent pas de travers. Et aussi parce qu’eux-mêmes gardent de bons souvenirs des animateurs qu’ils ont croisés. Trois d’entre eux rêvaient plus d’un avenir de footballeur que d’animer des sessions foot dans des cours d’école. Mais, vu d’aujourd’hui, cette perspective leur paraît acceptable. Davantage, probablement, que les épouvantails qui se dressent dans leur esprit.

Sur le cahier que tenait l’enseignante se trouvaient aussi des têtes grimées. Sur le front, les modèles avaient inscrit en blanc leur réponse personnelle à la question : « Qu’est-ce qui est essentiel pour vous dans la vie ? » Certains avaient répondu : « Essentiel », « Amour », « Santé », « Bien-être », Liberté », « Penser et agir »… Mots magiques, Rosebud ou mantras… Difficile de mesurer l’écart entre leur vie à l’extérieur de la PJJ et cet atelier qui les emmène au musée et dans des écoles maternelles. Difficile aussi de sonder la profondeur de leur motivation, qui va probablement de la nécessité de coopérer à l’intérêt qu’ils portent aux ateliers. « À l’atelier musique, où il s’agit d’abord de s’exprimer et de travailler la qualité de l’expression plutôt que de maîtriser un instrument, explique le professeur en charge de cette activité_, ils sont plusieurs à s’imaginer rapidement star du rap. Mais ils déchantent vite en réalisant ce que ça réclame comme travail. Sauf un, qui présente de réelles aptitudes et à qui on va essayer de faire enregistrer quelques titres. Mais, après tout, cette proportion est à peu près la même que dans les conservatoires_ », ironise-t-il.

Certains agents de la PJJ sont un peu partagés devant l’opération portes ouvertes. Autant ils sont satisfaits de faire connaître leur travail, autant ils ont du mal à se féliciter avec leur direction des rallonges budgétaires que le ministère a accordées pour cette opération alors qu’ils souffrent de manque d’effectifs et de moyens : locaux, matériels, etc.

En plus du module Bafa, cette unité éducative d’activités de jour d’une vingtaine de places est en train d’installer une activité professionnalisante : une formation de brancardier. Anciennement, ce module offrait une formation « Aide à la personne », qui attirait plutôt des filles. Or, il y a moins de filles inscrites en 2016, alors il a fallu se repositionner. Mais, début octobre, les six places ouvertes dans cette formation n’étaient pas encore pourvues.

Des pactes deuxième chance sont aussi conçus en partenariat avec la préfecture, et des formations en alternance avec le soutien de la Croix-Rouge. Mais difficile de se projeter dans l’avenir pour les jeunes PJJ, dont la priorité reste de rentrer dans le droit commun. Pour inverser la tendance exclusivement masculine de la rentrée 2016 dans cette unité, une fille est attendue dans les jours prochains. Un « retour de Syrie », pour la première fois. Arrêtée à la frontière. Et dont personne ne connaît encore ni la tête ni l’histoire. Un nouveau profil…

Société
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