L’évasion fiscale au banc des accusés

Un militant altermondialiste est poursuivi en justice par la BNP Paribas pour avoir emporté un siège lors d’une action non-violente des « Faucheurs de chaises ».

Patrick Piro  et  Vanina Delmas  • 5 janvier 2017 abonné·es
L’évasion fiscale au banc des accusés
© Patrick Piro

Dans les rues de Bayonne, depuis le 31 décembre, les abribus arborent d’étranges messages à la place des publicités habituelles. « Nous sommes tous Jon Palais. RDV à Dax le #9janvier. » En guise de signature, un point d’exclamation blanc dans un cercle vert, le symbole de l’association basque Bizi ! Une nouvelle action de désobéissance civile pour interpeller les passants sur le procès inattendu qui se déroulera le 9 janvier dans le petit tribunal de Dax (Landes).

Jon Palais, cofondateur des mouvements Alternatiba et ANV-COP 21, est poursuivi par la BNP Paribas pour « vol en réunion » à la suite d’une action des Faucheurs de chaises en octobre 2015 dans une agence parisienne. Ce jour-là, ils avaient « réquisitionné » 14 chaises. Jon Palais risque cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. « C’est une action illégale, mais nous la considérons légitime car elle est au service d’une loi supérieure à celle que nous enfreignons, estime le militant. Pour la BNP Paribas, le préjudice matériel et économique est infime. C’est la pensée symbolique de l’action qui la gêne. C’est une erreur tactique de nous poursuivre, car cela nous permet de faire davantage de publicité autour de l’évasion fiscale. »

Pour les 24 organisations de la société civile signataires de l’appel, ce procès est une occasion en or de renverser la vapeur. À l’intérieur du tribunal, Eva et Caroline Joly, les avocates de Jon Palais, s’appliqueront à démontrer l’absurdité d’un tel procès et à parler du fond du problème grâce à des témoins clés comme Antoine Peillon, journaliste spécialiste de l’évasion fiscale, Vincent Drezet, ancien secrétaire général du syndicat Solidaires finances publiques, et Claude Alphandéry, économiste et ancien résistant. À l’extérieur, les militants instruiront un autre procès devant les médias : celui de l’évasion fiscale. « Tant qu’il n’y a pas de scandale, il n’y a pas de lois. Et quand certaines commencent à aller dans le bon sens, elles sont affaiblies, s’indigne Jon Palais. Mener cette bataille est également difficile parce que l’évasion fiscale est par essence internationale. C’est un jeu sur les différences de réglementations d’un pays à un autre, donc changer les lois à l’échelle nationale n’est qu’une partie de la solution. »

Et le contexte politique a bien préparé le terrain depuis un mois puisque le Conseil constitutionnel a retoqué deux mesures de grande importance. Le 8 décembre, les « sages » ont refusé les dispositions de la loi Sapin 2 concernant le « reporting public pays par pays ». En clair, cette mesure obligerait les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros à publier toutes leurs données relatives aux impôts (leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, le nombre de salariés employés pays par pays…). « Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte manifeste disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi », s’est justifié le Conseil. Trois semaines plus tard, c’est la « taxe Google » qui subissait leur intransigeance. Présenté par le député PS Yann Galut, et voté par l’Assemblée nationale dans le cadre de la Loi de finances 2017, l’amendement prévoyait d’imposer les « profits détournés » des multinationales sur leur activité réalisée en France. Les géants du numérique comme Google, Facebook, Apple ou encore Amazon étaient dans son viseur.

« Tout le monde sait que l’évasion fiscale existe, mais elle est associée aux multinationales, aux footballeurs, au show-business, souligne Jon Palais. Or, il faudrait aborder le problème sous l’angle de notre vie quotidienne et des services publics : à chaque fois qu’on manque de places en crèche, quand il n’y a plus de financement pour les transports collectifs… Il faut comprendre que ce n’est pas le problème des riches, c’est celui des plus précaires. »

Une vision pédagogique de cette bataille qui a largement contribué au succès des Faucheurs de chaises : les citoyens pouvaient transformer leur colère et leur indignation en une action simple, délivrant un message politique. L’initiative de cette opération revient à la jeune association basque Bizi !, créée à Bayonne en 2009 afin de lutter pour une justice environnementale et sociale, alors que se préparait le sommet international de Copenhague sur le climat. Il lui revient notamment d’avoir lancé Alternatiba en 2013, aujourd’hui le principal mouvement citoyen actif sur la question climatique en France.

Le 12 février 2015, des militants de Bizi ! investissent l’agence bayonnaise de la banque HSBC pour lui « emprunter » huit chaises. Ces réquisitions citoyennes se multiplient, jusqu’au 6 décembre 2015, lors d’un sommet citoyen parallèle à la COP 21. Un défilé de militants et de personnalités impliquées dans ces combats dépose en cercle, place de la mairie à Montreuil (93), 196 de ces sièges étiquetés avec la date et le nom de l’agence bancaire d’origine.

L’action de l’association déborde largement la frontière du Pays basque. La technique du « fauchage » de chaises bancaires sera reprise par plusieurs associations (Amis de la Terre, Attac…) engagées contre la corruption, ­l’évasion fiscale ainsi que le dérèglement climatique. D’ailleurs, Florent Compain, président des Amis de la Terre France, est à son tour poursuivi. Il a été convoqué à la gendarmerie de Void-Vacon (Meuse) le 21 décembre dernier et devrait comparaître au tribunal le 11 avril.

Au cœur de toutes ces actions depuis près de dix ans, Jean-Noël Etcheverry, dit Txetx. Âme fondatrice de Bizi ! et ­d’Alternatiba, il vient de se distinguer par sa participation, le 16 décembre, à une action spectaculaire de neutralisation d’une partie de l’arsenal remis par ETA, qui a renoncé à la lutte armée en 2011 (voir ci-contre). Car, si plusieurs des initiatives des militants basques ont largement pris racine hors de leur territoire de naissance, elles contribuent aussi à le « désenclaver » localement de l’étau de la « question basque », plombée jusqu’à récemment par la lutte armée menée depuis la fin des années 1960. Ainsi Bizi ! se déclare-t-elle « indépendante » et rejette « toute stratégie clandestine ou action violente ». De nombreuses personnalités non basques, notamment engagées dans les combats climatique et anti-corruption, ont soutenu la libération de Txetx, soumis à 96 heures de garde à vue avec les quatre autres militants basques impliqués dans l’opération du 16 décembre. Beaucoup feront le voyage à Dax, le 9 janvier. Elles y retrouveront Txetx en première ligne.

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