Mathieu Boogaerts : « J’aime le silence dans la musique »

Mathieu Boogaerts évoque l’élaboration de son nouvel album, Promeneur, et son goût, en toute chose, de l’épure et de la simplicité.

Christophe Kantcheff  • 25 janvier 2017 abonné·es
Mathieu Boogaerts : « J’aime le silence dans la musique »
© Photo : Thibault Montamat

Mathieu Boogaerts poursuit avec son septième album enchanteur, Promeneur, son bonhomme de chemin, qui n’emprunte à aucune mode. Nous avons voulu prendre quelques nouvelles de ce chanteur presque itinérant.

Pourquoi avoir intitulé votre album Promeneur ?

Mathieu Boogaerts : Choisir un titre d’album, pour moi, est toujours compliqué. Trouver un terme qui reflète le propos de chacune des chansons, qui évoque le son et le ton du disque, a priori, c’est impossible. Un peu avant de terminer un album, je mets de côté des mots qui pourraient convenir. « Promeneur » a toujours été en tête de liste. Je n’ai pas d’explication très rationnelle. Je dirais que cela vient du fait que je ne me sens pas appartenir à un endroit, je suis toujours en train de bouger, d’errer ou d’évoluer…

Cherchez-vous une cohérence à vos albums ? Quelle serait celle de Promeneur ?

La cohérence ne dépend pas de la teneur des chansons, chacune existe par elle-même à mes yeux. En revanche, un album doit avoir une cohérence dans sa facture, pour obtenir une fluidité dans le son, les couleurs…

Pour Promeneur, j’ai pris le parti d’enregistrer les chansons guitare et voix telles qu’elles ont été composées, sans aucune autre contrainte ou ajout. Ce n’est qu’une fois la bonne version enregistrée que j’ai mis ici des violons, là des chœurs, mais nulle part de la batterie. Tel qu’il est, ce disque est au plus près de ce que je suis actuellement.

Dans certaines chansons, revient l’idée de partir ou de se sauver d’une prison…

Mobile homme

Un album de Mathieu Boogaerts, c’est toujours plus qu’un ensemble de chansons : un univers gracile et aérien, une façon d’être en pointillé, un dessin faussement naïf et vraiment singulier. Promeneur, son septième album, ne fait pas exception, au dépouillement plus appuyé encore, où le couple guitare-voix occupe l’essentiel de l’espace, avec des arrangements minimalistes et opportuns. On pourrait penser à Erik Satie : pas de débauche de notes et une légèreté sérieuse. Sur des rythmes balancés, de reggae (« Méchant ») ou de valse (« Une mélodie »), Mathieu Boogaerts égrène de sa voix tendre et flûtée des textes qui ont le sens du swing. Même s’ils n’affirment jamais rien, même s’ils interrogent beaucoup – « Qu’en est-il » est le titre symbole de la chanson d’ouverture –, ceux-ci racontent des histoires non dénuées parfois de moralité, avec un petit parfum de fable de La Fontaine. Ainsi, « Le Glorieux », une des plus jolies réussites de l’album, évoque la soif de prestige et de succès au risque de tout perdre. Mais le besoin de mouvement est sans doute ce qu’il y a de plus saillant dans Promeneur – quoi de plus normal ? Un mouvement contagieux, l’auditeur ayant en même temps envie de bouger à l’écoute de Mathieu Boogaerts et de le suivre dans ses pérégrinations artistiques.
S’il y a des thèmes récurrents, le constat ne peut être fait qu’après coup, ce n’est pas quelque chose que je décide. C’est pourquoi j’ai parfois du mal à répondre à des questions qui renvoient vraisemblablement à des choses très intimes chez moi. Comme celle-ci.

D’autres chansons, comme « Petit Vent », qui parle d’un « petit vent de liberté », évoquent ce que la liberté peut avoir de dérangeant…

Oui, cela parle du conflit entre vouloir s’échapper de la réalité et y rester. Je me rends compte que je ne prends jamais parti dans mes chansons, car je me sens tout à la fois. Un jour je me sens beau, le lendemain moche ; un jour bourreau, le lendemain victime ; faible puis fort… Il y a peu de temps, je me suis aperçu que mes textes comportent aussi beaucoup de questions. En fait, c’est vrai qu’il y a un thème qui ne change pas chez moi : le doute. En aucun cas je ne prétendrais détenir une vérité que je tenterais de diffuser dans mes chansons.

Cette façon d’être, ce doute intrinsèque induisent une façon de voir le monde. Que pourriez-vous en dire ?

Le monde est fait d’Occidentaux et d’Orientaux, de paysans et d’urbains, de jeunes et de vieux, de riches et de pauvres, et je crois qu’il est utopique de croire que tout le monde peut s’accorder sur ce qui est le Bien et le Mal, ce qui est bon ou mauvais. J’ai beaucoup voyagé, et j’aime connaître différentes réalités. Mes voyages me confortent dans cette idée. De même qu’ils m’amènent à faire ce constat : les Français, pourtant plutôt bien lotis par rapport à beaucoup de peuples ailleurs dans le monde, sont, d’après les statistiques, parmi les plus déprimés et les plus pessimistes. J’habite actuellement à Londres, où les gens ne sont manifestement pas dans la même humeur.

Quant au problème qui me préoccupe le plus, c’est celui du dérèglement climatique. Le réchauffement de la planète est pour moi un drame.

Poursuivons sur ce thème de l’écologie : comme vous êtes très économe en moyens dans vos chansons, ce qui fait ressortir dans cet album le swing et la prosodie, peut-on dire que vous êtes un chanteur décroissant ?

Je ne sais pas (rires). C’est vrai que je suis dans l’économie, y compris dans ma façon de consommer, de me déplacer, de me meubler… Pour moi, ce n’est pas politique. Je tends simplement vers une forme d’épure, de simplicité.

Ce que j’adorerais, quand on écoute mes chansons, c’est qu’on dise : « Ah, mais oui, fallait y penser ! », comme à quelque chose d’évident. Si j’étais designer, je dessinerais des meubles extrêmement dépouillés, très simples à assembler, ergonomiques et confortables, faciles à produire et à transporter. Cela dit, je peux aussi aimer aller voir un péplum avec deux mille figurants…

J’ai fait beaucoup de concerts seul depuis quelques années, et je crois que les spectateurs ne sont pas moins contents que si nous étions six.

Est-ce que le silence dans la musique est important pour vous ?

Dans son autobiographie, Keith Richards dit que le silence est pour le musicien ce que le cadre est pour le peintre, qu’il ne faut pas trop remplir. J’aime le silence, de la même manière que chez moi il n’y a pas trop de meubles, chacun résonnant dans l’espace presque vide. J’aime aussi le reggae, dans lequel il y a beaucoup de silences.

Au bout de la fantaisie, il y a la gravité ?

À la naissance d’une chanson, il y a une phrase qui me vient sur une musique. Si je sens qu’elle est juste, si j’y crois, je déroule le fil. Mais je ne sais pas pourquoi j’ai ce ton de légèreté. Ce qui est sûr, c’est que je ne valide une chanson que lorsqu’elle résonne avec quelque chose d’important. Pour assumer de me retrouver dans une salle de concert seul avec ma guitare devant trois cents personnes pendant deux heures, il faut que j’éprouve une légitimité à raconter ce que je raconte. La chanson peut paraître légère, mais elle doit aussi vibrer profondément en moi.

Promeneur, Mathieu Boogaerts, Tôt ou tard.

En tournée : le 1er février à Paris (La Java), le 18 à Metz (La Chapelle), le 24 à Cergy (L’Observatoire), le 25 à Colmar (Le Grillen), le 1er mars à Paris (La Java)…

Musique
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