Hamon-Mélenchon : irréconciliables ?

Après trois semaines de suspense, les deux candidats sont désormais officiellement adversaires. Mais l’histoire n’est peut-être pas encore finie.

Pauline Graulle  • 22 février 2017 abonné·es
Hamon-Mélenchon : irréconciliables ?
© Photo : PATRICK HERTZOG/AFP

Un divorce avant même les fiançailles. Après une semaine d’un éprouvant « je t’aime, moi non plus » par médias interposés, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ont fini par se tourner le dos. Le premier déclarant qu’il refusait de « [s’]accrocher à un corbillard ». Le second, qu’il « ne courrai[t] pas après Jean-Luc Mélenchon ».

Lundi matin, Libération se chargeait de rédiger l’acte de décès du rassemblement : « Hamon-Mélenchon : “C’est mort” ». Et chacune des parties s’évertuait à raconter, à sa manière, le film de ce vendredi 17 février où tout aurait basculé. Point de vue de Pascal Cherki, proche de Benoît Hamon : « Benoît a appelé Jean-Luc de Lisbonne [où il était, ironie du sort, en déplacement d’observation d’un gouvernement de la gauche plurielle, NDLR], et l’échange a été très sympa. Et puis, deux heures après, on ne sait pas pourquoi, Jean-Luc a fait sa sortie sur le “corbillard”. C’était terminé. » Point de vue d’Alexis Corbière, proche de Jean-Luc Mélenchon : « On a proposé une rencontre, on a envoyé une lettre pour ouvrir les discussions, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon se sont parlé au téléphone, et puis, patatras… On s’est fait traiter de diviseurs et Hamon a refermé la porte. »

Fini, donc, les atermoiements et les jeux de dupes. L’espoir aussi s’est envolé. Les électeurs de la primaire organisée par le PS, qui voyaient dans l’union du PS et de Mélenchon la seule manière d’arriver au second tour de la présidentielle [1], en sont pour leur frais. Tout comme le socialiste Gérard Filoche, qui, après avoir pendant vingt jours supplié sur tous les tons Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot de s’entendre, reproche désormais aux deux premiers d’être les (in)dignes représentants de « la gauche la plus bête du monde ».

La lettre de la discorde

Publiée sur les réseaux sociaux vendredi 17 février, la lettre de Jean-Luc Mélenchon s’adresse à Benoît Hamon : « Bonjour Benoît, […] tu avais dit que tu me contacterais dès ton investiture. […] J’ai rencontré avec grand plaisir Yannick Jadot à Strasbourg et je te verrai de même. […] Tu proposes une convergence de nos forces dans les élections présidentielle et législatives. […] Nous ne pouvons avoir la naïveté de te croire sur parole alors même que tu es et restes le candidat d’un parti et d’élus majoritairement hostiles à l’orientation que tu défends. Il est donc légitime et honnête que nous te demandions des garanties politiques précises sur ton engagement à rompre avec le quinquennat et son bilan. La première garantie, [c’est que] nous ne voulons aucun accord ni à la présidentielle ni aux législatives avec Emmanuel Macron et son mouvement. […] La seconde garantie concerne […] l’engagement clair à en abolir les mesures emblématiques [du quinquennat]_, c’est-à-dire essentiellement la loi El Khomri, le CICE et l’état d’urgence permanent. Cela se traduira par la mise à l’écart des prochaines élections notamment des ministres du gouvernement qui a imposé cette “loi travail” à coup de 49.3. »_ Le candidat de la France insoumise réclame d’autres « garanties », notamment « la convocation d’une assemblée constituante dans les trois premiers mois de la nouvelle mandature », « le retour aux 35 heures réelles comme à la retraite à 60 ans », « la sortie du nucléaire », la sortie de l’Otan ou le « passage au plan B en cas d’échec des discussions avec nos partenaires européens pour mettre fin à la politique des traités budgétaires et des semestres européens ».
L’étincelle, qui a mis le feu aux poudres de barils déjà bien chargés, c’est cette fameuse lettre adressée à Benoît Hamon, vendredi dernier, par Jean-Luc Mélenchon (voir encadré ci-contre). Les hamonistes y ont vu un chapelet de conditions impossibles à remplir – Benoît Hamon s’étant prononcé pour la retraite à 62 ans et ayant refusé d’« offrir les têtes » (l’expression est du candidat socialiste) de Myriam El Khomri ou de Manuel Valls. « Quand on veut discuter avec quelqu’un, on ne dit pas “c’est à prendre ou à laisser” ! », s’indigne Pascal Cherki, qui dénonce une manœuvre. En face, les mélenchonistes plaident leur bonne foi : « Personne n’a oublié le discours du Bourget, alors la moindre des choses, c’est d’avoir des garanties que ça ne va pas se reproduire. On veut bien se rassembler, mais pour nous, l’union n’est pas une combine, et on pense d’abord au programme qu’on veut défendre », avance Alexis Corbière, qui trouve Hamon d’un flou suspect sur la mise en place de la VIe république, le nucléaire ou l’Europe.

« Quand on a envie de se marier avec quelqu’un, on lui trouve des qualités, on ne commence pas par lui lister les raisons pour lesquelles ça ne va pas marcher », grince Pascal Cherki. Pour le député socialiste de Paris, Mélenchon aurait été, depuis le départ, dans une « stratégie d’évitement consistant à chercher tous les prétextes pour ne pas discuter ». Faux, selon Corbière : « Hamon avait dit qu’il nous appellerait dès le lendemain de son élection [le 29 janvier à la primaire organisée par le PS, NDLR], il ne l’a pas fait, alors, c’est un peu facile de dire ensuite que c’est nous qui ne voulons pas le rassemblement. »

Chacun se renvoie donc aujourd’hui la balle. Et chacun s’accuse mutuellement de vouloir faire porter à l’autre le mistigri de la défaite qui pourrait advenir. « Que va-t-il se passer ? C’est à Jean-Luc Mélenchon de le dire, désormais », dit Cherki. « Les médias nous renvoient, à tort, dos à dos alors qu’il y a des faits, et les faits, c’est que nous avons fait le premier pas », dit Corbière, qui n’exclut pas néanmoins d’arriver à un accord.

En réalité, cette méfiance réciproque était prévisible. Car tout ce petit monde se connaît trop bien. Alexis Corbière et Pascal Cherki ont tous les deux milité à l’Unef. Le hamoniste Jérôme Guedj est l’ancien bras droit de Mélenchon en Essonne. Et Pascal Cherki est… le témoin de mariage d’Alexis Corbière : « Pascal, je le connais très bien, et c’est justement pour ça que je sais ce qu’il a dans la tête, ce qui n’enlève rien à l’amitié que j’ai pour lui », explique le porte-parole de Mélenchon.

Depuis le 29 janvier, aussi bien Benoît Hamon que Jean-Luc Mélenchon n’ont d’ailleurs jamais fait mystère du fait qu’un bulletin à leur nom serait disponible dans l’isoloir le 23 avril prochain. Les sondages, qui les donnent – pour l’instant – quasiment au coude à coude, n’ont pas joué leur rôle escompté de juge de paix en désignant qui de l’un ou de l’autre pourrait rassembler derrière lui. Quant à la pression militante, elle semble avoir plutôt joué en défaveur de l’union. D’un côté, des mélenchonistes chauffés à blanc contre le PS, considéré comme le « parti traître » de 2012, de l’autre, une base socialiste rétive à tout rapprochement vers celui qui l’a combattue avec virulence pendant cinq ans.

Sous l’écume médiatique des petites phrases, se cachent de vraies divergences. Non pas tant sur les programmes et les valeurs que sur la manière dont chacun entend de conquérir le pouvoir. Parti en campagne depuis un an, Jean-Luc Mélenchon est ainsi persuadé que le renouveau à gauche ne peut se faire qu’en dehors du PS, et s’échine, avec un succès certain, à politiser une base de nouveaux électeurs tout en amenant à lui les déçus du quinquennat. Benoît Hamon, lui, entend siphonner l’électorat de Jean-Luc Mélenchon mais aussi, pourquoi pas, celui d’Emmanuel Macron. Et reste avant tout soucieux de rassembler le parti derrière sa candidature qui a laissé beaucoup de socialistes perplexes. Satisfaire l’aile droite du PS sans décevoir la gauche : périlleux exercice qui lui coûte désormais quelques contorsions – dont celle de parler plus volontiers de « réécriture » de la loi travail que d’« abrogation » – et lui vaut d’être accusé de « solférinisation aiguë » par les mélenchonistes.

Hamon et Mélenchon, définitivement irréconciliables ? Sauf coup de théâtre, les dés semblent jetés… Mais, en début de semaine, EELV – sur le point de signer le ban de mariage avec Benoît Hamon – et le Parti communiste (PCF) se voulaient néanmoins optimistes. Un optimisme de la volonté, plus que de la raison : « Trouver les conditions de l’incapacité d’un rassemblement aujourd’hui, c’est une forme d’irresponsabilité historique », déclarait Yannick Jadot dans une formule alambiquée qui en disait long sur le malaise (lire aussi notre entretien avec le candidat d’EELV). « Le danger FN au second tour ne nous semble pas suffisamment pris au sérieux, estimait de même Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. La question, désormais, c’est : “Est-ce qu’on veut/peut s’éviter d’aller voter Macron ou Fillon pour battre Marine Le Pen” ? Il ne faudra pas aller pleurer des larmes de crocodile si on n’arrive pas à s’entendre pour accéder au deuxième tour. » Pour le PCF, dont la base militante est écartelée entre Hamon et Mélenchon, le rassemblement des deux protagonistes est aussi une question de survie politique à moyen terme…

Après la publication d’un texte, mardi matin, visant à « hausser le ton » sur le rassemblement, Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, s’est donc donné pour mission de partir avec son bâton de pèlerin et de « rencontrer tout le monde » avant la fin de la semaine. Ces rencontres seront rendues publiques, souligne Olivier Dartigolles : « Puisque l’on bute sur la “présidentialisation” de la Ve République, il faut qu’on commence par la constitution d’un pacte de majorité à gauche en passant au peigne fin les programmes, détaille le numéro 2 du PCF. Ensuite, on parlera de construire une majorité de gauche à l’Assemblée, et enfin, on parlera de la candidature commune. Ce sera au mois de mars, les choses auront bougé, on verra alors de quel côté est la dynamique. » Pas sûr néanmoins que remettre à plus tard les problèmes d’aujourd’hui soit plus efficace.

[1] Lire « Sauront-ils s’entendre ? », dans Politis n° 1439, 2 février.