Enseignement de l’histoire : Récit national contre esprit critique

L’ingérence des politiques dans l’enseignement de l’histoire est aussi ancien que la matière, qui joue pourtant un rôle essentiel dans la formation des élèves, futurs citoyens.

Malika Butzbach  • 1 mars 2017 abonné·es
Enseignement de l’histoire : Récit national contre esprit critique
© Photo : FRED DUFOUR/AFPnÀ l’initiative de Nicolas Sarkozy, des lycéens lisent la lettre de Guy Môquet, le 22 octobre 2007 à Lyon.

On ne compte plus les attaques des responsables politiques visant l’enseignement de l’histoire. François Fillon, en novembre dernier, accusait encore les programmes du secondaire de faire l’impasse sur Voltaire et Clovis. Pour Laurence De Cock, docteure en sciences de l’éducation et cofondatrice du collectif Aggiornamento hist-géo [1], l’intérêt des politiques pour cette matière est consubstantielle à son origine : « L’histoire scolaire a été créée sous la IIIe République. Sa vocation première était de former les futurs citoyens, de contrer le retour à la monarchie en les faisant adhérer au système républicain. » Selon elle, la situation n’a pas vraiment changé, et cette vision de l’enseignement de l’histoire est encore partagée par les politiques actuels.

Amélie Hart-Hutasse, professeure d’histoire-géo à Paris et membre du Snes-FSU, souligne que cette politisation de la matière se fait à deux niveaux. « En premier lieu, interviennent les injonctions qui s’appuient sur les questions de mémoire et de commémoration. » Comme lorsque Nicolas Sarkozy impose en 2007, par l’intermédiaire de son ministre de l’Éducation nationale, que la lecture de la lettre de Guy Môquet soit obligatoire dans les lycées le 22 octobre, jour de l’exécution du résistant par les nazis. Mais, surtout, c’est l’élaboration des programmes qui concentre toute l’attention des politiques. « L’enjeu est fort, car c’est à ce moment que l’on fait des choix, sachant que ce qui n’est pas au programme ne sera sans doute pas abordé, faute de temps », poursuit Amélie Hart-Hutasse. Et, justement, qui fait ces programmes ? Depuis la loi de 2013 sur la refondation de l’école de la République, le Conseil supérieur des programmes (CSP) émet des avis et formule des propositions. Il est constitué de trois députés, de trois sénateurs, de deux représentants du Conseil économique, social et environnemental et de dix personnalités qualifiées nommées par le ministre de l’Éducation nationale. Pour exercer ses missions, le conseil peut nommer des groupes d’experts, dont il choisit les membres selon leurs compétences.

Laurence De Cock pointe l’inflation du nombre d’acteurs : syndicats de professeurs, fédérations de parents d’élèves, politiciens ou associations de mémoire peuvent être consultés par le CSP, mais ils exercent également une pression sur l’élaboration des programmes à travers leurs réactions, largement médiatisées. Or, ces programmes obéissent à une triple finalité : identitaire, civique, mais aussi intellectuelle, qui pose la question, large, des contenus et des méthodes. « Ces trois dimensions ont toujours été reconfigurées et entrent souvent en contradiction, explique Laurence de Cock. Mais, actuellement, j’ai l’impression que la finalité intellectuelle est passée au second plan. »

Un sentiment partagé par Claire Guéville, professeure d’histoire-géographie et responsable des questions de lycée au Snes-FSU : « Ce surinvestissement de la sphère politique rend l’exercice de notre métier difficile. Les politiques ont un fantasme, ils pensent que notre matière est performative : on dit, les élèves apprennent et une nation se forme. Mais nous, notre devoir, c’est avant tout d’enseigner un esprit critique. »

Les enseignants ont développé une forme de résistance aux injonctions politiques : la liberté pédagogique, prévue dans l’article L912-1-1 du code de l’éducation. Définie en 2005 dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, dite « loi Fillon », cette liberté se traduit par le choix des méthodes pédagogiques, des démarches didactiques et du type de médiation, mais « s’exerce dans le respect des programmes et des instructions ». Ce qu’Alexandre Antunes, 27 ans, professeur d’histoire-géo en lycée à mi-temps en Seine-Saint-Denis, en dernière année de master « Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation », à Paris, a pu appliquer. « Le programme de seconde est centré sur la France et l’Europe. De ma propre initiative, j’ai abordé des aires géographiques voisines, notamment les pays de la Méditerranée. Ce qui a permis à mes élèves une meilleure compréhension de certaines problématiques, comme les échanges culturels, par exemple. Après tout, la politisation du programme est tributaire du professeur et du milieu dans lequel il enseigne. »

À l’approche de l’élection présidentielle, l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) compte transmettre aux candidats des « Cahiers des exigences », dont le premier article stipule que « l’histoire et la géographie ne sont pas des matières instrumentalisables par le pouvoir politique ». Une façon de rappeler que les élèves, futurs électeurs, sont des citoyens en devenir dont les professeurs se doivent, avant tout, d’éveiller le sens critique.

[1] Collectif de réflexion sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie du primaire à l’université, né en avril 2011.

Société Idées
Temps de lecture : 4 minutes

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