Fukushima : six ans après, rien n’est réglé

Les effets de l’explosion des réacteurs le 11 mars 2011 se font encore sentir dans la région environnante de la centrale nucléaire japonaise, sur le plan écologique comme sur le plan humain.

Claude-Marie Vadrot  • 10 mars 2017 abonné·es
Fukushima : six ans après, rien n’est réglé
© Photos : Claude-Marie Vadrot

Six ans se sont écoulés depuis la catastrophe de Fukushima ; et, autant les traces du tsunami s’effacent peu à peu dans le paysage, autant les effets souvent invisibles de l’explosion des réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi continuent à marquer la vie des hommes, des femmes et des enfants. Ceux qui ont subi une irradiation dont l’ampleur est toujours laissée dans le flou par les autorités japonaises ; et ceux qui ont, en plus, dû fuir la zone contaminée, pour s’installer chez des amis ou de la famille ou, plus nombreux, pour être logés dans des camps provisoires.

© Politis

Là, impossible de retrouver une vie normale : ils sont parfois rejetés ou jalousés par les populations auprès desquelles ils vivent sans se mélanger – car considérés comme des « étrangers ». Ceux du camp d’Onigoe et d’ailleurs m’ont souvent raconté qu’ils passaient pour des privilégiés parce qu’ils touchent une indemnité mensuelle de l’État et de la Région, et parce qu’ils sont logés dans des petites maisons de deux pièces au confort minimum, qui conviennent à des couples mais où les familles avec enfants ont bien du mal à vivre. D’autant plus qu’ils ne retrouvent pas souvent du travail.

Les réfugiés dans l’angoisse

Ces hommes et ces femmes, notamment les plus âgés, vivent mal l’éloignement de leurs villages. Ils en rêvent toujours malgré le temps. Mais, contradiction compréhensible, ils n’ont pas vraiment envie d’y retourner ; lorsque et si sera possible. Par crainte de la contamination dont on ne leur dit pas grand chose. Et aussi parce qu’ils savent que dans les villages ou petites villes rouvertes aux habitants sur des critères inconnus, il ne revient pas grand monde. Ils ont donc peur de s’y sentir bien seuls dans des espaces où, de plus, peu de magasins essentiels ont rouvert leurs portes. Comme de nombreux services publics d’ailleurs.

Ainsi à Hirono, grande ville où, paraît-il, il n’y aurait plus de danger, seuls 5 000 habitants – soit la moitié – sont de retour. Un vide masqué par la présence des techniciens et ouvriers allant chaque jour à la centrale accidentée pour la réparer et la nettoyer. Tout au long du parcours de la route menant à Fukushima, d’immenses étendues de déchets et de terres irradiés, entassés sous de simples bâches vertes et dans des sacs noirs, prouvent que rien n’est réglé. À la centrale, tout ce qui a été irradié est encore sur place et les énormes citernes d’eaux contaminées témoignent de l’impuissance des « liquidateurs » de la catastrophe.

© Politis

Les mensonges officiels sur la radioactivité

Dans la centrale, où les spécialistes repèrent régulièrement des « bouffées » d’intense radioactivité relâchée par les réacteurs toujours en fusion, les panneaux lumineux témoignent des dangers. Mais, lorsque le visiteur (très encadré) le fait remarquer, les responsables de la Tepco, l’opérateur privé de Fukushima-Daiichi, rétorquent que ces balises alimentées par l’énergie solaire sont « déréglées ». Ils font d’ailleurs les mêmes remarques pour celles qui sont installées dans les zones à nouveau autorisées aux habitants. Pas étonnant dans ces conditions que les pêcheurs et les agriculteurs peinent à vendre leurs productions. Un paradoxe dans une région où se pratiquait souvent l’agriculture biologique.

© Politis

Plus qu’à Tchernobyl six ans après l’accident, la zone de Fukushima vit sous le règne du mensonge et de la désinformation. Déni de la réalité qui concerne également le nombre de Japonais malades ou morts des effets de la radioactivité. D’autant plus que les responsables de la centrale ne savent pas (ou ne veulent pas dire) comment la centrale sera un jour nettoyée. Une seule certitude, les robots utilisés pour explorer les cœurs nucléaires fondus tombent toujours en panne lorsqu’ils sont envoyés en exploration. Et, pour l’instant, l’installation d’un sarcophage semblable à celui de Tchernobyl et destiné à isoler les réacteurs de l’atmosphère n’est toujours pas tranchée alors qu’elle avait été annoncée pour 2019…

Rien ne paraît donc réglé dans le département de Fukushima. Ce qui n’est pas surprenant après un accident nucléaire majeur qui a d’autant plus affolé la population que les autorités en ont masqué les circonstances et les conséquences. D’où une angoisse de plus en plus grande dans les populations concernées, qui se sentent toujours en sursis…

Légendes des photos :

Photo d’ouverture : De nombreux villages sont toujours abandonnés et interdits au séjour des habitants à 10 km de la centrale

Puis, par ordre d’apparition :

• Des dizaines de milliers d’habitants de la région sont toujours hébergés dans des camps « provisoires » de réfugiés.

• Les déchets radioactifs raclés sur les terres irradiées sont toujours dans les champs, abrités sous dans des bâches et dans des sacs.

• L’un des bâtiments réacteurs explosé, dans lequel il est impossible de pénétrer tant les radiations y sont fortes.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

« La mer nous remet à notre place : un existant qui ne voit pas tout »
Entretien 14 novembre 2025 abonné·es

« La mer nous remet à notre place : un existant qui ne voit pas tout »

Philosophe et autrice de L’Être et la mer, Corine Pelluchon appelle à regarder l’humanité depuis l’océan, pour repenser sa place, appréhender sa vulnérabilité et ouvrir à un imaginaire de la solidarité.
Par Caroline Baude et Hugo Boursier
COP 30 :  « En tant qu’activistes, on est presque obligées de trouver des manières originales de militer »
Entretien 14 novembre 2025 abonné·es

COP 30 : « En tant qu’activistes, on est presque obligées de trouver des manières originales de militer »

Après plus d’un mois de navigation, cinq activistes pour le climat sont arrivées à la COP 30, à Belem, à bord d’un voilier. Objectif : faire converger les luttes climatiques, antiracistes et féministes. Entretien.
Par Kamélia Ouaïssa
À Belém, un projet d’égouts symbole du racisme environnemental
Reportage 10 novembre 2025 abonné·es

À Belém, un projet d’égouts symbole du racisme environnemental

En prévision de la COP 30, des travaux d’assainissement sont menés à la Doca, un quartier aisé de Belém, au détriment de Vila da Barca, bien plus défavorisé. La population, rompue à la résistance, dénonce du racisme environnemental.
Par Giovanni Simone et Anne Paq
Le paradoxe brésilien : du pétrole pour financer la transition
Reportage 10 novembre 2025 abonné·es

Le paradoxe brésilien : du pétrole pour financer la transition

Le gouvernement autorise de nouveaux forages au large de l’Amapá, l’une des régions les plus pauvres du pays. Un pari économique qui contraste avec l’urgence des enjeux climatiques et représente une menace directe pour la Guyane voisine.
Par Tristan Dereuddre