Hôtesses d’accueil : derrière le sourire, la souffrance

Licenciements arbitraires, répression syndicale, harcèlement… Les salariées de l’agence Pénélope alertent sur leurs conditions de travail à l’occasion de la Journée des droits des femmes.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 1 mars 2017 abonné·es
Hôtesses d’accueil : derrière le sourire, la souffrance
© Photo : Frédéric Cirou/PhotoAlto/AFP

Vous voulez des êtres humains de sexe féminin ? Je vous en donne » : telle est la caricature de la société Pénélope que présente le syndicaliste Patrick Mahé. Responsable de l’implantation de SUD dans cette grande agence d’hôtesses, il s’indigne : « Rien n’est fait pour faire évoluer cette profession. »

Presque exclusivement conçu pour les femmes, le métier d’hôtesse d’accueil a la particularité d’être précaire par essence, le taux horaire excédant rarement celui du Smic et les évolutions étant quasi inexistantes. Et pour cause : les agences prestataires, comme Pénélope, externalisent leurs services à des entreprises clientes, pour une plus grande flexibilité, y compris pour des postes allant au-delà des prérequis de l’hôtesse. Mais, derrière le sourire exigé, les salariées se mobilisent. La Journée internationale des droits des femmes leur offre l’occasion de dénoncer leurs conditions de travail et les méthodes managériales de cette agence qui n’a, selon les travailleuses, « ni respect ni considération pour ses employées ».

Toutes présumées remplaçables, isolées de leurs collègues, les hôtesses d’accueil connaissent peu leurs droits. De fait, elles se retrouvent souvent démunies face aux avertissements, retraits de sites et autres mesures pouvant provoquer leur départ de l’agence. Le syndicaliste résume : « Dans ce genre de métier, on se dit que les gens sont de passage, qu’ils viennent arrondir leurs fins de mois, que c’est du temporaire. Alors les salariées donnent tout ce qu’elles peuvent, et, au moindre signe de ralentissement, on s’en débarrasse. » Une interprétation que Sarah [1], ancienne salariée de Pénélope, partage. Licenciée pour « causes réelles et sérieuses » après un an de service, cette ancienne adhérente de la CFTC se voit très vite reprocher un certain nombre de choses, malgré dix ans d’expérience dans le métier. Ses pauses régulières aux toilettes, « parce qu’[elle] suivai[t] un traitement reconnu par la médecine du travail », vont jusqu’à être considérées comme des abandons de poste. Sarah reçoit également un avertissement. La cause ? Son « chignon n’est pas assez soigné ». Lors de son entretien préalable au licenciement, c’est d’ailleurs ce qui occupe la conversation.

Sur le point de perdre son emploi, cette mère célibataire ne se laisse pas faire et cherche soutien auprès de son syndicat, majoritaire chez Pénélope. Mais la CFTC, que l’hôtesse décrit comme proche de la direction, refuse de l’aider et lui rend son bulletin d’adhésion. Toujours en procédure, soutenue par SUD, Sarah espère faire requalifier son licenciement. D’après elle, elle était « trop fragile pour eux ».

Plus subtil, le recours à la clause de mobilité est également un moyen de pression utilisé par Pénélope, dont l’objectif serait, selon Katia, de « faire craquer certaines employées, qui, usées, finissent par choisir l’abandon de poste ou la démission ». Mère célibataire, Katia a été licenciée pour faute grave après avoir été mise en reclassement, sans avertissement, au bout de quatre ans de service sur un même site : « D’après mes responsables, le client voulait me remplacer par deux mi-temps. Pourtant, celui-ci m’a assuré que c’est Pénélope qui avait proposé cet arrangement. Il était content de moi. Plus d’un mois après, l’agence m’a proposé un nouveau poste, que j’ai immédiatement accepté. Mais, le lendemain, on m’a demandé d’aller sur un autre site, plus loin, avec des horaires incompatibles avec ma vie privée. » Katia renonce à s’y rendre, et son refus, pourtant justifié par une lettre de la crèche qui atteste des heures de fermeture et de l’impossibilité pour la mère de famille de récupérer son enfant, offre à Pénélope l’occasion de licencier son hôtesse. Un « affront », pour le syndicat, qui a soutenu sa défense devant les tribunaux avec succès : les prud’hommes ont souligné le caractère abusif de ce licenciement et condamné Pénélope à plusieurs milliers d’euros.

Mais, selon Patrick Mahé, le cas de Katia n’est pas isolé : « Lorsqu’une employée demande une évolution ou une réévaluation de salaire, la direction fait tout pour s’en débarrasser, jouant de cette clause jusqu’à épuisement. Et dans ce genre d’entreprise, qui embauche beaucoup de jeunes mères ou des étudiantes, peu sont celles qui ont les moyens de financer des procédures. Et il se trouve que c’est aussi un très bon moyen d’assécher les syndicats. » De son côté, Katia pense aussi que Pénélope ne voulait pas qu’elle se « sente trop à l’aise sur un site », craignant peut-être de la voir recrutée par l’entreprise cliente en interne, et perdant ainsi son contrat.

Militante SUD, Lisa [2] tient bon malgré des mises en garde liées à son engagement, et rappelle qu’elle ne fait qu’exercer son droit. La jeune hôtesse d’accueil raconte avoir dû céder à un chantage pour conserver une affectation. « Sans aucune plainte, mon agence m’a dit de ne pas retourner sur mon site, à la demande du client. Surprise, je décide de l’appeler. Il m’explique alors que Pénélope lui a précisé les raisons de mes absences, dont certaines avaient à voir avec le syndicat. Que je sois absente pour mes études lui importait peu. Mais, si c’était pour “casser les pieds de Pénélope”, ça ne l’intéressait pas de me garder. »

De même, Carine s’est vue contrainte de signer une rupture conventionnelle après six ans d’ancienneté : « Mes responsables m’ont clairement dit que mon engagement syndical posait problème. D’ailleurs, en quatre ans, je n’avais jamais eu de sorties de site. Mais, quelque temps après ma titularisation en tant que déléguée du personnel chez SUD, Pénélope m’a retiré deux fois des entreprises clientes. » Titulaire d’un diplôme d’assistante de direction (bac + 2) et bilingue en anglais, elle s’est vu proposer une rupture de contrat « après [son] refus d’être affectée sur un site qui ne correspondait pas à [ses] compétences ».

Aujourd’hui encore, Carine s’insurge contre la politique mise en place par Pénélope, qui tire le travail vers le bas pour plus de profit. Malgré plusieurs mails, l’hôtesse n’obtiendra jamais un poste compatible avec ses qualifications, du moins, pas officiellement : « L’agence déguise les postes d’assistante de direction en postes d’hôtesse d’accueil. » En effet, si Pénélope vend principalement des prestations d’hôtesse standard, le client exige souvent que la salariée remplisse d’autres missions, allant de la comptabilité à diverses tâches administratives, mais sans réévaluation de salaire. « Lorsque nous faisons valoir nos compétences et demandons une requalification de notre contrat, reprend Lisa, on nous dit qu’il fallait refuser les tâches qui ne font pas partie du contrat. Alors nous sommes prises en étau entre l’agence et le client, sans savoir à qui obéir, débordées, avec le même salaire. »

« L’hôtesse participe à la réassurance des identités hétérosexuées », en évoluant « dans un monde à dominante masculine »« le comportement attendu est relativement stéréotypé », explique la sociologue Gabrielle Schütz [3], à propos de ce travail dont la principale qualité demandée relève du « savoir-être ». « Il faut être souriante, docile, sympa et rassurante pour être une bonne hôtesse, résume Lisa. Même si nous sommes confrontées à des personnes qui nous manquent de respect ou nous draguent, nous devons rester à notre place. » Des expériences que certaines hôtesses vivent mal, comparant l’obligation de s’y soumettre à une véritable violence. Malgré tout, elles doivent représenter l’agence et garantir son « prestige ». Maquillage soigné, vernis, escarpins, coiffure, peu d’éléments sont laissés au hasard.

Prisonnières de ces contraintes physiques, sans prise en charge des frais de représentation, y compris pour celles qui n’utilisent pas ce genre d’accessoires au quotidien, les hôtesses regrettent plus amèrement la dévalorisation dont elles sont la cible, par leurs employeurs en particulier. « Il est très difficile de mettre en avant les compétences que l’on mobilise », argue Lisa, parlant d’une non-reconnaissance systématique du travail accompli, mais aussi de la difficulté, pour les hôtesses, d’entrer en confrontation avec leur direction. « Sur mon site, je dois parler anglais et faire des traductions, par exemple. Des compétences acquises parce que je suis diplômée, poursuit-elle. Non seulement c’est tout le malentendu des intitulés de poste qui légitiment nos bas salaires, alors que nous effectuons des missions hors contrat, mais, si nous nous plaignons, on nous fait comprendre que nous remplacer n’est pas difficile. Parce qu’il ne faut pas avoir beaucoup de jugeote pour faire ce job ! »

Et de la facilité à remplacer les mécontentes, le bilan social 2015 de Pénélope en atteste : 62 % des salariés ont moins de deux ans d’ancienneté et, sur 4 050 employés, Pénélope compte 1 788 départs, dont 1 014 démissions et licenciements, contre 1 470 embauches en CDI. Une flexibilité permise par l’externalisation des services, au grand désavantage des salariés, dont 90 % sont des femmes et plus de la moitié ont moins de 30 ans. « Il y aura toujours de beaux sourires pour remplacer d’autres beaux sourires », soupire Patrick Mahé.

[1] Le prénom a été changé.

[2] Idem.

[3] « Hôtesse d’accueil. Les attendus d’un “petit boulot” féminin pour classes moyennes », Gabrielle Schütz, Terrains & travaux n° 10,2006.

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