Mélenchon dans les pas de Keynes

Keynes regrettait la séparation de l’économie et de l’éthique.

Geneviève Azam  • 8 mars 2017 abonné·es
Mélenchon dans les pas de Keynes
© Photo : Leemage / AFP

Le programme économique de Jean-Luc Mélenchon renvoie à l’ignorance le mantra libéral selon lequel toute dépense publique est une pure perte. Il réhabilite une conception dynamique de l’économie qui le met dans les pas de John Maynard Keynes : un milliard d’euros d’investissements publics n’est pas une simple dépense, il engendre de l’activité et des revenus qui permettent la consommation, assurent des recettes publiques nouvelles et un supplément d’épargne qui pourra entretenir l’investissement. C’est le principe du multiplicateur keynésien.

Ce multiplicateur est à la base de la pensée interventionniste et expansionniste des macroéconomies d’inspiration keynésienne. Cependant, Keynes prisait peu la technique économique et la mystification statistique. Elles reposent en effet sur l’existence de « lois économiques », comme la loi du multiplicateur, base de l’essentiel des modèles économétriques. Or, un des apports majeurs de Keynes est de rompre avec cette pensée mécanique et d’inscrire sa théorie dans un « incertain radical », au lieu de l’univers certain et rationnel des économistes néoclassiques. L’économie peut améliorer la connaissance de la société, elle ne peut proposer des lois. La bataille des chiffres relève de la cuisine des ministères.

Le multiplicateur est aussi à la base de ce que Bernard Maris appelait le « consommationisme » de la pensée keynésienne [1] : il est en effet d’autant plus élevé que la consommation est forte et que le revenu supplémentaire circule entre entreprises et consommateurs. Contrairement aux néoclassiques, Keynes chérissait peu l’épargne et les rentiers, qu’il associait à un capitalisme malade, névrosé et infantile : une redistribution des revenus des classes riches, qui ont une forte propension à l’épargne, vers les plus pauvres, qui, eux, ont une forte propension à consommer, devrait permettre l’essor du marché intérieur, de la croissance et de l’emploi.

La relance de la demande induit aussi celle des importations. C’est pourquoi (voir l’échec de la relance Mauroy en 1982), même dans un cadre plus protégé et libéré du dogme du libre-échange, elle n’a de sens qu’à un niveau plus large, européen, sinon global. Et là surgissent d’autres questions, celles de la compatibilité écologique avec la règle verte et avec les limites géophysiques de la Terre, qu’aucune économie de la mer ou de l’espace ne devrait transgresser.

Alors, revenons au Keynes qui regrettait la séparation de l’économie d’avec la philosophie et l’éthique, celui des Perspectives économiques pour nos petits-enfants (1930), qui mettait en garde contre la surestimation du problème économique et de « ses nécessités supposées » : « Je suis certain qu’avec un peu plus d’expérience nous ferons usage des nouvelles libéralités de la nature d’une façon différente de celle des riches d’aujourd’hui, et nous tracerons pour nous-mêmes un plan de vie bien différent du leur. » Perspective plus enthousiasmante que les effets mécaniques du multiplicateur.

[1] Keynes ou l’économiste citoyen, Bernard Maris, Presses de Sciences Po, 2007.

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