Philippe Poutou, miroir de classe

Le candidat du NPA n’a pas vocation à être élu. Il ne le souhaite pas. Ce trublion politique n’a qu’un seul objectif : apporter des éléments de débat dans un monde politico-médiatique sclérosé.

Nadia Sweeny  • 1 mars 2017 abonné·es
Philippe Poutou, miroir de classe
© Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

C’est à l’imprimerie de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) que Philippe Poutou, candidat à la présidentielle du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), nous reçoit. Dans ce vieil immeuble, vestige industriel du cœur de Montreuil, les murs sont jaunis et les portes floquées d’affiches révolutionnaires. Philippe Poutou débarque, l’accent bordelais qui chante, le sourire aux lèvres et le regard franc.

Son téléphone ne cesse de sonner : les journalistes le sollicitent pour connaître son ressenti après « l’affaire ONPC » (« On n’est pas couché »). L’émission de Laurent Ruquier, samedi 18 février au soir sur France 2, s’est révélée être une drôle d’épreuve pour le candidat qui ne court pas les plateaux. Toute l’équipe, la chroniqueuse Vanessa Burggraf en tête, s’est fendue d’un fou rire gênant en évoquant les licenciements. Philippe Poutou, lui, n’a pas ri. Il attendait patiemment de répondre, de prendre une parole qu’il n’a pas si souvent. Cette scène a d’ailleurs choqué les téléspectateurs, qui y ont vu, à juste titre, un ouvrier faisant face à une élite journalistique se gaussant de lui, de son combat, des licenciements qui ravagent des vies. Consternant.

Pourtant, Philippe Poutou, employé de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde), en lutte pour sauver plus de 900 emplois, ne se sent pas personnellement heurté. « C’était un peu surréaliste, mais je ne l’ai pas vécu comme une humiliation personnelle. C’est leur malaise qui s’est exprimé : c’est leur limite, ils ne savent pas comment traiter un ouvrier qui se présente à la présidentielle. Je n’ai rien à vendre. Je ne fais pas partie de leur monde, du coup, il n’y a pas vraiment de rencontre, pas de débat. C’est dommage. » Beaucoup ont qualifié cet épisode de « mépris de classe » face à un Philippe Poutou dont le but était de « porter la parole » de ceux qu’il représente, tout en sachant qu’il n’était pas pris au sérieux : « Ils m’avaient dit que j’étais là parce qu’il fallait respecter le temps de parole obligatoire, pas pour entendre ce que j’avais à dire. »

Porter la parole, c’est pourtant le leitmotiv de ce trublion politique : « Je ne me présente pas pour gagner. Je ne joue pas le candidat, je n’essaye pas de faire semblant, dit-il sincèrement. Je suis un porte-parole, je suis là pour porter des idées, participer au débat. Il me semble qu’une élection doit permettre de discuter du pouvoir, puisqu’on élit celui qui va avoir le pouvoir. On veut faire partie de ce débat-là. » C’est certainement ce qui fait toute la différence entre lui et les autres candidats : pas de fioritures, de jeu de séduction ou de théâtralité électoraliste. Le NPA n’en a que faire : « La plupart de nos sympathisants ne votent pas ! Mais ils ont quand même des choses à dire et je veux tenter de porter cette voix-là. On représente un courant politique, même si on n’est pas électoraliste, on participe de la vie politique : on discute, on a une presse, on argumente. On se solidarise de luttes qui posent des problèmes démocratiques… On est dans le monde ! »

Avec aujourd’hui 2 000 cotisants mensuels – seul chiffre accessible pour évaluer ce que représente le mouvement – la présence du NPA à la présidentielle peut apparaître comme un gage du pluralisme démocratique. Le mouvement a été créé en 2009 par la LCR, après les résultats croissants d’Olivier Besancenot à l’élection présidentielle, en 2002 et en 2007, recueillant entre 4 et 5 % des voix. Le postier est d’ailleurs la figure la plus connue du mouvement, portant la parole du Nouveau Parti anticapitaliste de 2009 à 2011. Il a ensuite cédé sa place à Philippe Poutou, qui, en 2012, a obtenu 1,15 % de voix au premier tour de la présidentielle. Mais, pour 2017, pas sûr que le NPA puisse se présenter.

Les difficultés que l’équipe rencontre pour recueillir les 500 parrainages d’élus nécessaires à la candidature de Philippe Poutou renvoient à la question cruciale de la représentativité. Les militants courent les municipalités rurales, dont les élus non encartés sont les seuls à n’avoir « pas reçu de consignes », pour tenter d’être présents dans le débat. « Si on n’y arrive pas, ça montre que la démocratie telle qu’elle existe dans notre pays n’est pas capable de faire une place à des courants politiques différents. On ne dit pas qu’il ne faut pas un minimum de filtres, mais c’est excessif : pourquoi ce sont les maires qui doivent parrainer et pas les citoyens ? Pourquoi le système d’envoi des courriers a-t-il été compliqué et pourquoi le nom des parrains doit-il être publié ? Pourquoi la date d’envoi a-t-elle été modifiée ? Tout ça nous met des bâtons dans les roues, d’autant que les maires n’en peuvent plus ! Jusque-là, nous sommes passés à travers les mailles du filet, mais à chaque élection, elles se resserrent un peu plus. »

Une pression contre laquelle Philippe Poutou s’insurge, même s’il ne croit pas dans le vote, lui préférant la lutte sociale. D’autant que, selon lui, ce n’est plus le vote d’opinion qui prédomine mais le vote utile : « Le sympa, c’est Poutou, et Mélenchon, c’est l’efficace », se désole-t-il, critiquant la position du candidat de la France insoumise : « À aucun moment, on ne fait partie de son schéma : il considère qu’il n’existe personne à sa gauche. On a beaucoup de points communs avec les militants mélenchoniens, mais on ne pense pas que Jean-Luc Mélenchon soit représentatif d’une alternative à gauche. Non seulement il a été ministre de Jospin, a passé une grande partie de sa vie politique au PS, mais, surtout, il continue de considérer Mitterrand comme un mentor ! Mitterrand, c’est quand même la guerre d’Algérie, une jeunesse d’extrême droite, des amitiés avec René Bousquet [secrétaire général de la police du régime de Vichy, NDLR], une politique d’austérité… Ils ont détruit la résistance sociale et, aujourd’hui, on nous dit que Jean-Luc Mélenchon est crédible ? Il y a maldonne ! Et puis, c’est encore un candidat qui vient d’en haut. »

Philippe Poutou, lui, a le mérite de venir « d’en bas », de vivre les difficultés sociales au quotidien. C’est sa force, sa légitimité et son message. « Ce n’est pas normal qu’il n’y ait que des politiciens à la présidentielle : par notre existence même, on pose des problèmes. » Celui du miroir devant lequel la classe politique et médiatique semble mal à l’aise. C’est peut-être le rôle principal de cet homme simple : renvoyer aux hommes politiques leur déconnexion du monde réel.

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