« Pour un musée en Palestine » : collection particulière et solidaire

À l’initiative de l’exposition « Pour un musée en Palestine », Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, explique ici la teneur de ce projet.

Christophe Kantcheff  • 8 mars 2017 abonné·es
« Pour un musée en Palestine » : collection particulière et solidaire
© Photos : Nabil BOUTROS/ Musée d’art moderne et contemporain de Palestine

Ce mercredi 1er mars, Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, arpente avec satisfaction l’exposition dont il est l’instigateur. Et pour cause : depuis qu’un appel a été lancé aux artistes en France de se déclarer solidaires avec le peuple palestinien en effectuant un don, une centaine d’œuvres ont afflué. Vendredi 24 février, au cours d’une conférence de presse, cet appel prenait une dimension internationale : le soir même, au moment où se tenait le vernissage, sept dons d’artistes étrangers étaient déjà enregistrés.

Elias Sanbar tient à souligner la qualité des œuvres offertes : « Vous pouvez constater que les artistes ont fait don de pièces qui leur importent. » L’exposition, abritée par l’Institut du monde arabe, rassemble en effet des œuvres qui ne laissent pas indifférent. On peut y admirer un puissant Cueco, Chiens courants (1993), un subtil Hervé Di Rosa, Sous-marin (1993), quelques pièces très expressives de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo, ou encore un entêtant Jo Vargas, Sans titre (2002). Parmi beaucoup d’autres. Au long de la visite, on rencontre aussi des œuvres d’Hervé Télémaque, Gérard Fromanger, Pierre Buraglio, Jan Voss, Patrick Coste, Jean Le Gac, Gérard Voisin, des photographies de Robert Doisneau, de Martine Franck ainsi que d’Alexis Cordesse, de Gilles Delmas, et des dessins de Tardi et de Beaudoin.

L’intention est de réunir des œuvres qui témoignent de la diversité de la création contemporaine. Ernest Pignon-Ernest, coordinateur de l’exposition, souhaite en effet que l’ensemble des courants artistiques de 1950 à nos jours soit représenté. Dans quel dessein ? Constituer la collection du futur Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine. Un projet qu’Elias Sanbar compte bien mener jusqu’au bout.

« L’idée m’est venue en réfléchissant à ce qui, dans le même ordre d’idées, a été fait par le passé, raconte-t-il. Ainsi, à la fin des années 1970, le représentant de la Palestine à Paris, Ezzedine Kalak, qui fut ensuite assassiné, avait déjà eu l’idée de demander des dons de solidarité à des artistes. Il avait constitué une petite collection de grande qualité, avec des pièces de Miró, de Mata, de Riopelle… Cette collection devait être exposée en 1982 comme une manifestation culturelle dans le cadre de l’OLP. Les toiles furent envoyées à Beyrouth. Mais le siège de la ville et les bombardements sont alors survenus. Les œuvres furent éparpillées, certaines ont disparu, d’autres, nous le savons, ont été volées. Nous sommes en train de travailler à les récupérer. Ensuite, dans le courant des années 2000, le sculpteur Gérard Voisin, en tant qu’artiste de l’Unesco pour la paix, a offert quelques-unes de ses pièces ainsi que des œuvres d’autres artistes appartenant à sa collection personnelle. » Il est un autre événement qui fait référence : l’appel lancé au temps de l’apartheid à tous les artistes qui y étaient opposés, et dont le succès fut retentissant.

Ces antécédents n’empêchent pas qu’un tel projet puisse paraître utopique, au vu de la situation actuelle en Palestine. Mais c’est précisément à l’aune de cette situation qu’Elias Sanbar le juge pertinent. « C’est un pari sur l’avenir, insiste-t-il, le pari que la vie sera plus forte que la mort. C’est aussi l’affirmation que les peuples, qu’ils soient ou non en lutte, ont le droit d’avoir accès à l’art, à la beauté. » Cet acte esthétique est aussi de nature politique, ne serait-ce que dans sa dénomination même : un Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine a pour vocation d’être un espace public, ouvert au peuple, et de se situer sur le sol de l’État palestinien. Le soir du vernissage, Elias Sanbar a vu tous ses compatriotes présents venir vers lui, émus aux larmes, parce que chaque cartel porte cette mention : « Collection du Musée national d’art moderne et contemporain de Palestine ». « Quelle joie de pouvoir enfin lire ces mots », lui ont-ils soufflé. Mais si un tel musée est le territoire d’expression d’une volonté nationale, « l’art, précise l’ambassadeur, peut se révéler un formidable vecteur de réconciliation, tant qu’il n’est pas guerrier, c’est-à-dire qu’il ne se réduit pas à de la propagande ».

Aucune frontière n’est posée quant à la provenance des œuvres d’artistes se déclarant solidaires. Les artistes israéliens seront, comme les autres, les bienvenus. « De toute façon, nous ne demandons le passeport de personne », souligne Elias Sanbar. « Dans cette exposition, ajoute-t-il, nous avons une superbe sculpture de Robert Scemla, aujourd’hui décédé. Né au Maroc, il a été l’un des premiers à opérer des contacts entre les communautés juive et palestinienne sur des bases politiques, et non pas simplement identitaires. C’est très important que Robert soit dans ce musée. Je suis certain que les œuvres d’artistes israéliens vont affluer. » Le musée abritera également des œuvres d’artistes palestiniens, qui pourront dialoguer avec toutes les autres.

Si le terrain où sera érigé le musée n’est pas encore fixé, les plans et la conception des bâtiments seront bientôt à l’étude, avec l’aide d’architectes. Pour Elias Sanbar, rien ne sert d’attendre. Il n’y a pas l’étape où l’on se bat, puis la suivante où l’on peut se rendre au musée. « Il faut tout faire toujours en même temps », affirme-t-il.

Outre cette exposition qu’il propose dans ses murs, l’Institut du monde arabe stockera toutes les pièces du futur musée. Bientôt, l’exposition se déplacera en Palestine, accueillie par une toute nouvelle institution, le Palestinian Museum, construit en Cisjordanie, à Bir Zeit, près de l’université. Le projet de Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine, porté par Elias Sanbar, est ambitieux, mais certainement pas irréaliste. Ce n’est d’ailleurs presque plus un projet : il est désormais entré en phase de réalisation.

« Pour un musée en Palestine », jusqu’au 26 mars, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, Paris Ve, www.imarabe.org

Culture
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