Mélenchon endosse le costume présidentiel

Le candidat de la France insoumise travaille sa présidentialité en incarnant l’homme providentiel de gauche.

Nadia Sweeny  • 12 avril 2017 abonné·es
Mélenchon endosse le costume présidentiel
© photo : Pascal Lehocq/Citizenside/AFP

Sur le Vieux-Port de Marseille, dimanche 9 avril, Jean-Luc Mélenchon n’était plus candidat à la présidentielle : en prenant la guerre comme thème, il était déjà, dans son discours, chef des armées, chef d’État. À quinze jours du premier tour de l’élection, le candidat endosse le costume présidentiel.

Retour en arrière : le 18 mars 2012, date anniversaire de la Commune de Paris, Jean-Luc Mélenchon prend symboliquement la Bastille. Derrière lui, le peuple en bonnet phrygien chante « La Mélenchonne » sur l’air de « La Carmagnole », tout en avançant de la place de la Nation vers la place symbole de la Révolution. Le personnage Mélenchon est impétueux, insurrectionnel.

Cinq ans plus tard, beaucoup de choses ont changé. S’il n’a rien perdu de sa pugnacité, le candidat cherche à apparaître comme un « homme rassurant », proposant une transition ferme mais sereine : « la révolution tranquille des citoyens », qui mène naturellement à la place de la République. C’est vers ce lieu à la connotation plus consensuelle que l’ancien sénateur conduit les insoumis, ce 18 mars 2017. Aux pieds de la statue de Marianne. Le storytelling de son aventure présidentielle est d’une implacable cohérence. Tous les symboles sont activés pour créer l’adhésion du « peuple », qu’il entend incarner.

Héritier de la première gauche, en opposition à celle de Michel Rocard – représentée par Benoît Hamon – et à la troisième voie « blairiste » menée par Emmanuel Macron, Mélenchon personnifie la gauche canal historique. Celle qui, portée par les emblèmes qu’il s’approprie, émane tout entière de lui, de la Commune à Mitterrand en passant par Jaurès… « Je suis un chemin balisé », déclare-t-il encore.

La cravate rouge qu’il porte dans les rencontres officielles rappelle celle du cofondateur de la SFIO, tandis que le triangle arboré côté cœur – marquage nazi des prisonniers politiques – évoque la résistance aux idées d’extrême droite.

Jean-Luc Mélenchon, c’est aussi le « travailleur ouvrier », reconnaissable à sa veste noire de couvreur. Dans la mythologie, le couvreur est Janus, dieu romain des transitions aux deux visages : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir.

De la figure passée, Mélenchon l’orateur prend les traits du hussard noir : cet instituteur de la IIIe République à la fois ferme et paternel, pourvoyeur de morale républicaine et de son triptyque : Liberté, Égalité, Fraternité.

Les discours, très « éducation populaire », prononcés sur un ton professoral, sont autant d’occasions de faire admirer la puissance de son talent oratoire, riche d’un vocabulaire qui fleure bon les temps jadis, mais toujours accessible_. « Face à l’instabilité politique, son âge, sa constance et sa cohérence rassurent_, explique Anne Jadot, politologue qui mène pour le CNRS des enquêtes qualitatives sur la présidentielle. Même les CSP+ âgés, fillonistes convaincus, lui accordent désormais une forme de crédit, notamment pour son éloquence et sa maîtrise de la langue. »

Instituteur d’antan mais aussi professeur moderne, Mélenchon utilise des outils nouveaux, ceux de l’avenir : sa chaîne YouTube pour donner à voir son analyse du monde, son hologramme ou encore un jeu vidéo dans lequel il apparaît en justicier du contribuable, bousculant les hommes de pouvoir afin de leur reprendre l’argent volé.

Le personnage et son nom sont devenus une marque déclinable, à l’image du « Mélenphone », une plateforme d’appel pour convaincre d’autres citoyens. Une marque qui s’attache à faire « dégager » les « corrompus » et les « corrupteurs », pour les « châtier » de la même manière que « les parasites et les sangsues » que sont les actionnaires. « Vous votez, ils dégagent ! »,promet-il.

Mélenchon harangue les foules et use de tous les modes de séduction. Il parle au « peuple » à la manière d’Hugo Chavez, l’ancien président vénézuélien, avec qui le candidat avait noué une solide amitié. C’est dans les bains de foule sud-américains qu’il s’est imprégné d’un populisme de gauche, dont l’indispensable figure centrale, est, quoi qu’il en dise, un homme providentiel.

À cet égard, le candidat cultive un paradoxe. Celui de l’héritier de la gauche laïque et égalitariste, qui prône la destruction de la Ve République, de la monarchie présidentielle, mais qui utilise volontiers les leviers de l’incarnation et de la personnalisation qui appartiennent à la république gaullienne. « Cette Constitution avait été taillée pour un homme exceptionnel, dans des conditions exceptionnelles, pour faire face à un contexte exceptionnel. Ce temps est révolu », clamait le candidat de la France insoumise, place de la République, le 18 mars. Habile façon de résoudre l’ambivalence.

La présidentielle française, « rite laïc […] fonctionnant comme une sorte d’inconscient collectif », rend l’incarnation indispensable, selon le politologue Stéphane Rozès [1]. « Celui qui veut l’emporter est obligé de se fondre dans le creuset de la réactivation de l’imaginaire du pays. » D’autant qu’en temps de crise « la relation à l’incarnation politique devient vitale ». Le candidat de la France insoumise l’a compris et il joue le jeu. Pour lui, à l’occasion d’une rencontre avec les étudiants de Sciences Po Lyon, en novembre 2015 : « Il peut y avoir un homme ou une femme providentiels mais il n’y a pas de providence, il n’y a que des circonstances. »

[1] Études, revue de culture contemporaine, entretien avec Stéphane Rozès.