« Retour à Forbach », de Régis Sauder : La ville devant soi

Entre souvenirs personnels et présence des lieux, un portrait de Forbach marqué par la montée du FN, où l’espoir le dispute à la désillusion.

Christophe Kantcheff  • 19 avril 2017 abonné·es
« Retour à Forbach », de Régis Sauder : La ville devant soi
© photo : Docks 66

Tu n’es pas complètement parti », dit Flavia, la directrice d’école, une amie d’enfance, à Régis Sauder. Intimement, le documentariste n’avait certainement pas coupé les ponts avec sa ville natale, d’autant que la maison de ses parents s’y trouve encore. Au début du film, elle a été cambriolée. Rien n’a été volé – elle ne contenait rien de précieux –, mais tout est sens dessus dessous.

Ce point d’ancrage familial sera le fil rouge de Retour à Forbach, que Régis Sauder ne montre pas habité : ses parents quitteront bientôt leur maison, et elle sera vendue. Dans une scène très marquante, le cinéaste, aidé de sa sœur, jette dans une grande benne tous les objets et petits meubles contenus dans la maison. Ceux-là portent une mémoire dérisoire, toute une vie de gens ordinaires, un héritage matériel quasi nul. Symbole de ce dénuement : le père de Régis Sauder est atteint de la maladie d’Alzheimer.

C’est le cinéaste qui, avec sa caméra, va accomplir l’acte de transmission. Dans un jeu de miroir entre ses souvenirs personnels et l’histoire de la ville, ouvrière et antifasciste, désormais prête à se livrer à un parti d’extrême droite, il tisse des liens entre passé et présent.

Retour à Forbach n’est certainement pas une enquête monographique sur cette ville frontalière, ni un chant nostalgique envers un passé où chacun, certes, avait sa place, mais le plus souvent à la mine, qui tuait vite ou à petit feu. C’est une photographie subjective, dont la profondeur de champ est donnée par la présence de ce qui perdure – la nature, les saisons… –, les traces de ce qui s’efface et les témoignages des habitants interrogés, souvent d’anciens camarades d’école de Régis Sauder, qui ressuscitent leur enfance pauvre et s’efforcent aujourd’hui de tenir tête aux vents mauvais.

Les mots « peur », « honte », « exploités », « abandonnés » résonnent tour à tour, et l’on comprend sur quel terrain rongé, au propre – le sous-sol minier – comme au figuré, se développe le poison. Mais Régis Sauder filme sans misérabilisme ni catastrophisme, accueillant la beauté qui se présente, y compris celle d’une cité plongée dans la quiétude d’une soirée printanière, pourtant devenue un ghetto pour personnes d’origine immigrée.

Au fur et à mesure qu’avance le film, Forbach va bien au-delà de Forbach. La ville natale du cinéaste devient l’emblème d’une société tout entière, avec ses caractéristiques actuelles : des politiques qui ont délaissé des pans entiers de la population, des solidarités perdues mais retrouvées au sein des lieux de culte (à la mosquée), la stigmatisation incessante de ceux qui ont une tête d’étranger, le communautarisme chauvin, voire nationaliste… On entend l’ouvrier Mohammed dire : « Ma femme est voilée parce qu’elle le veut. Certains, au Wiesberg, sont allés voir ma mère pour lui demander pourquoi je la voile. Personne n’arrive à croire que ce n’est pas moi qui le lui ai demandé… »

Les paroles optimistes et les dessins joyeux d’enfants contredisent le désir de fuite de leurs aînés. Sont-ils si différents des enfants d’hier qui, trente ans plus tard, sont aujourd’hui adultes ? « Nous n’avions rien, mais nous étions heureux. » Retour à Forbach offre une complexité qu’aucun discours politique ne pourra atteindre. Le film donne à entendre la désillusion, le désespoir. Mais une librairie a rouvert en centre-ville, et la maison familiale de Régis Sauder a été rachetée par Ahmed. Une page se tourne, et la vie, malgré tout, continue.

Retour à Forbach, Régis Sauder, 1 h 18.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes