Second tour : le pari risqué de Jean-Luc Mélenchon

ANALYSE. Pourquoi le leader de la France insoumise s’obstine-t-il à refuser d’appeler à un vote barrage de principe contre Marine Le Pen ?

Pauline Graulle  • 29 avril 2017
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Second tour : le pari risqué de Jean-Luc Mélenchon
© photo : HO / France Insoumise / AFP

Il pleut dru sur Mélenchon. Des hectolitres de reproches. Mais il tient bon. « Ce que je vais voter, je ne vais pas le dire », a-t-il répété, hier après-midi, sur sa chaîne YouTube. Tout a commencé dimanche, au soir du premier tour de l’élection présidentielle. Défait derrière son pupitre, le candidat de La France insoumise (FI) renvoyait Macron et Le Pen dos à dos. Et, plutôt que d’appeler à voter le premier contre la seconde, lui, le républicain convaincu, l’homme fort de la gauche radicale, s’en remettait étrangement à une consultation en ligne de ses « insoumis » (les résultats seront communiqués mardi) visant à définir la position de FI entre vote blanc, vote Macron, ou abstention.

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Mélenchon qui temporise face à Le Pen ? Qui ne donne pas de consigne de vote face à « la bête immonde » qui, plus que jamais, ressurgit ? Qui ne dira même pas publiquement quel sera son choix final ? Beaucoup, à gauche, ne décolèrent pas devant ce silence coupable – voire suspect. Mercredi, dans Libération, le romancier Didier Daeninckx, exigeait du leader de FI qu’il retire – une question de « décence » – le triangle rouge, insigne des déportés communistes dans les camps nazis, épinglé à sa veste. Dans le même journal, un militant FI interpellait son candidat : sa consultation ne saurait « être légitime pour représenter les 7 millions de personnes qui ont voté pour vous ». « L’on attendrait de votre part une élévation du débat qui donnerait les raisons précises pour lesquelles la conception du pouvoir qu’a madame Le Pen est un danger […] et s’oppose radicalement à votre programme ».

Jeudi matin, sur France Inter, c’était au tour de l’écolo hamoniste, Yannick Jadot, de s’en prendre à « l’irresponsabilité politique » de l’insoumis en chef : « Quand on défend la France métissée, on la protège contre le Front national. Parce que ça ne sera pas Jean-Luc Mélenchon qui sera victime de l’ostracisme, de la stigmatisation, ou du racisme dans ce pays. » Et l’eurodéputé d’appeler à « combattre structurellement » le FN.

Un vote barrage contre-productif

Sur ce dernier point, ce n’est pas Mélenchon qui dirait le contraire. Mercredi, lors de la première conférence de presse post-défaite de FI, les proches du candidat rappelaient, à raison, qu’on ne pouvait accuser Mélenchon d’avoir jamais flanché dans sa lutte anti-fasciste. Mettant en garde – on n’est jamais trop prudent – les troupes « insoumises » sur le fait qu’il ne fallait pas donner « une voix, pas une, au FN », Alexis Corbière fulminait contre « les donneurs de leçons » : « Nous, on n’est pas dans le blabla, on est dans l’action ! » lançait-il, soulignant que l’ancien dirigeant du Parti de gauche était le seul à avoir eu le courage d’aller défier Marine Le Pen, en 2012, à Hénin-Beaumont. Dans Le Monde, le psychanalyste Gérard Miller abondait dans le même sens : « Si Marine Le Pen n’a pas obtenu le score bien plus élevé qu’annonçaient les sondages, c’est parce que Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête dans la plupart des grandes villes (Marseille, Lille, Toulouse, Montpellier…), réalisant des scores particulièrement élevés dans les quartiers populaires et recueillant près de 30 % de voix chez les 18-24 ans. »

Chez les mélenchonistes, l’argumentaire est donc simple. Le temps du rempart électoral (du fameux « vote barrage ») habituellement prôné par la gauche est révolu : il a fait la preuve de son inefficacité, voire de son effet contre-productif, la menace frontiste n’ayant cessé de grandir depuis quinze ans. Seul compte désormais le vrai rempart, efficace, pérenne : le rempart politique. Et seul Jean-Luc Mélenchon peut l’incarner puisque seul Jean-Luc Mélenchon a réussi à grappiller des voix chez les abstentionnistes « chroniques » ou chez les électeurs qui, sans lui, auraient été voter Le Pen.

On comprend, dès lors, où se situe l’enjeu. Mélenchon se souvient des reproches qui lui avaient été adressés en 2012 de s’être rangé derrière François Hollande pour le second tour. Il ne compte pas réitérer l’erreur. Aujourd’hui, appeler d’emblée à voter pour « Macron-le-banquier », pour le candidat de cette « oligarchie » qu’il n’a eu de cesse, depuis plus d’un an, de vouer aux gémonies, reviendrait pour lui à se dédire. Les conséquences ? Désastreuses, pour tout le monde. À l’effritement de cette base d’ex-abstentionnistes conquis à la force du poignet, fragilisant de fait la gauche entière, s’ajouterait le départ de l’électorat mélenchoniste potentiellement « lepénisto-compatible » dans les bras d’une Marine Le Pen bien décidée à le récupérer dans l’entre-deux tours… Voire au-delà.

Le coup d’après

Jean-Luc Mélenchon joue donc, à l’évidence, le coup d’après. Il ne veut absolument pas laisser à l’extrême droite le monopole de l’opposition à Emmanuel Macron durant le prochain quinquennat. Et pour ce faire, c’est comme un « sacrifice » qu’il fait de lui-même – d’où, peut-être, sa tête d’enterrement dimanche soir. Il accepte de s’exposer sur l’autel de toutes les critiques si cela lui permet de conserver sa légitimité politique ainsi que le précieux capital d’électeurs qu’il a eu tant de mal à convaincre pendant sa campagne.

L’intention est louable. Mais il faut souhaiter que le leader de FI ne joue pas avec le feu. D’abord, si Mélenchon semble intimement persuadé que « n’importe qui » gagnerait en face de madame Le Pen – et on ne peut qu’espérer qu’il pense vrai –, nul ne sait quel sera l’impact de son refus affiché du « front républicain » : ne risque-t-il pas d’aller grossir outre-mesure les rangs des abstentionnistes ? Nourrie par un excès de confiance, l’attitude de Mélenchon pourrait alors donner plus d’eau qu’il ne l’imagine au moulin de cette fameuse « abstention différentielle » conduisant à ce que le FN ait, en valeur absolue, plus d’électeurs que Macron. Finalement, Le Pen l’emporterait le 7 mai de la même manière que Trump l’avait emporté face à Clinton, en novembre dernier. Et le coupable serait dès lors tout trouvé…

Et c’est là l’autre risque qui guette : que le choix de Mélenchon finisse par engendrer une énième pomme de discorde à gauche. À trop vouloir conserver le noyau dur de ses insoumis, Mélenchon pourrait ainsi perdre ces gens « banalement de gauche » qui ont voté pour lui le 23 avril, moins par conviction que parce qu’il leur semblait plus apte que Benoît Hamon à emporter l’élection. Ces millions d’électeurs sociaux-démocrates pourraient d’ailleurs ne pas attendre bien longtemps – les législatives – pour lui faire payer ce qu’ils considèrent comme un intolérable « ni-ni ».

Pire, cette nouvelle pomme de discorde du « vote Macron » pourrait entraver, pour longtemps, toute perspective de recomposition à gauche. Beaucoup, au PCF, au PS, ou chez les Verts, ne pardonneront pas à Mélenchon d’avoir remis en cause les vieux « réflexes » républicains de gauche. Et l’on observe déjà les prémices du drame à venir dans les échanges houleux, par presse interposée, entre le clan Hamon et le clan Mélenchon toute la semaine dernière…

Au fond, il est à craindre que Mélenchon soit désormais piégé par sa propre stratégie du « populisme de gauche ». Car comment expliquer, après avoir pendant des mois déroulé un discours sans nuance contre une « caste dorée de parasites », que la candidate qui prend pour cible « l’oligarchie » est en fait pire que le candidat qui la représente ? Afin d’éradiquer le FN, Mélenchon avait voulu utiliser ses propres armes (populistes) pour mieux les retourner contre lui. Le pari eut sans doute été réussi si FN et FI s’étaient retrouvés face à face au second tour. Mais une fois Mélenchon éliminé de la course à la présidentielle, il apparaît comme plus risqué que jamais.

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