Dans l’enfer de Pôle emploi

Une enquête journalistique en immersion raconte les épreuves quotidiennes subies par les demandeurs d’emploi.

Erwan Manac'h  • 17 mai 2017 abonné·es
Dans l’enfer de Pôle emploi
© photo : PHILIPPE HUGUEN/AFP

Pôle emploi est une machine kafkaïenne qui charrie un flot de souffrances humaines. Pour en parler, et dénouer la technicité jargonneuse qui jalonne le quotidien d’un demandeur d’emploi, Cécile Hautefeuille a choisi la première personne du singulier. Journaliste en contrats précaires, elle a parcouru par elle-même, et malgré elle, « les couloirs sinueux de la machine et connu [sa] part de situations ubuesques ». Elle a vécu l’exaspération des documents perdus, le contact crispant avec le site Internet, le dialogue absurde avec les conseillers téléphoniques du 39 49, les convocations hors délai, les rendez-vous express en agence, desquels on ne ressort qu’avec un sentiment d’impuissance décuplé.

Elle documente sa chronique intimiste avec une somme de témoignages recueillis entre 2013 et 2016 pour son blog « La minisphère du chômage », et livre la synthèse de plusieurs rapports d’experts sur Pôle emploi. Dressant ainsi un panorama d’où ressort le dénominateur commun de ces douleurs anonymes : « Décoder pour ne pas être aspiré. Ou broyé. »

Le dialogue avec Pôle emploi est rendu conflictuel par les erreurs incessantes que génèrent les procédures complexes, toutes informatisées. Le discours ambiant délétère contre les « assistés » et le contrôle accru des demandeurs – alors que les offres sérieuses font cruellement défaut – renforcent le phénomène. Tout comme l’absence de réponse ou le ton inquisiteur des lettres type menaçant de radiation, même quand l’administration est en tort.

Pour les travailleurs précaires, Pôle emploi ajoute chaque mois à l’incertitude l’épreuve de l’actualisation. Il faut déclarer les heures travaillées pour percevoir l’allocation, puis attendre que l’employeur envoie les fiches de paye pour les transmettre à Pôle emploi. Et surtout espérer que l’opération se termine sans bug. Car, si l’un des maillons de cette chaîne défaille, cela peut conduire à des trop-perçus qui déclenchent des coupures immédiates d’allocation.

Le récit est concret, sensible et parfois drôle. Il montre aussi que la machine « malmène les gens de chaque côté du guichet ». Car le sous-effectif place les conseillers de Pôle emploi entre le marteau et l’enclume. Ils sont parfois mal informés, victimes d’un outil informatique capricieux et souvent esseulés devant le nombre croissant de demandeurs d’emploi. D’autant que leur métier, témoigne l’un d’eux, ne peut se résumer à gérer le « marché » de l’emploi : « On peut mettre un an à travailler avec une personne rien que sur le deuil de son emploi perdu. »

Cécile Hautefeuille rappelle aussi que la radiation des chômeurs après deux refus sans motif légitime – proposition d’Emmanuel Macron – existe déjà. Mais cette procédure ignore le fait que les offres d’emploi sont en réalité fréquemment fantaisistes, douteuses ou carrément bidon. Et que le mal qui ronge le plus les chômeurs est le sentiment de solitude et d’impuissance dans leur recherche d’emploi.

La Machine infernale. Racontez-moi Pôle emploi, Cécile Hautefeuille, Éditions du Rocher, 186 p., 16,50 euros.

Travail
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

10 septembre : les syndicats entre méfiance et volonté d’accompagner la colère sociale
Analyse 29 août 2025 abonné·es

10 septembre : les syndicats entre méfiance et volonté d’accompagner la colère sociale

Deux organisations – la CGT et Solidaires – ont appelé à rejoindre le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, notamment par la grève. D’autres restent plus craintifs à l’idée de se mêler à une mobilisation aux contours encore flous, dans les modes d’action comme dans les revendications.
Par Pierre Jequier-Zalc
Burn-out militant : questionner les organisations pour mieux militer
Témoignages 25 juillet 2025 abonné·es

Burn-out militant : questionner les organisations pour mieux militer

Trois militantes témoignent de l’épuisement physique et moral auquel peut parfois conduire leur engagement. Elles regrettent que ce risque ne soit pas pensé par leurs organisations, et soit donc si peu considéré.
Par Pierre Jequier-Zalc
Santé mentale au travail : la grande cause oubliée
Analyse 3 juillet 2025 abonné·es

Santé mentale au travail : la grande cause oubliée

Malgré son statut de grande cause nationale pour 2025, la santé mentale reste largement ignorée dans les entreprises. Les salarié·es souffrent en silence, pendant que la prévention patine et que les conditions de travail se détériorent.
Par Paul Hetté
Conclave : comment le Medef a planté les négociations
Récit 24 juin 2025 abonné·es

Conclave : comment le Medef a planté les négociations

Invitée à négocier alors qu’elle ne le voulait pas, la puissante organisation patronale a tout mis en œuvre, depuis des mois, pour faire échouer le conclave sur les retraites. Ce mardi, François Bayrou va tenter de les faire changer d’avis. À quel prix ?
Par Pierre Jequier-Zalc