« Des entraves au droit d’asile »

Le centre de réfugiés de Paris est à la limite de la légalité selon la Cimade, qui l’attaque devant les tribunaux. Les explications d’Antoine Decourcelle.

Ingrid Merckx  • 17 mai 2017 abonné·es
« Des entraves au droit d’asile »
© photo : PHILIPPE LOPEZ / AFP

Le 10 novembre 2016, le centre de réfugiés de La Chapelle ouvre ses portes. Une première en Europe qui résulte d’un bras de fer remporté par la mairie pour mettre à l’abri les migrants à la rue. Déjà, les associations de défense des migrants s’inquiètent du manque de places et des conditions posées à l’accueil : centre humanitaire ou centre de tri ? Cinq mois plus tard, le 9 mars, la Cimade publie un texte intitulé : « Le côté obscur du centre Hidalgo ». Elle y dénonce un dispositif entravant le droit d’asile et attaque en justice.

Que reprochez-vous au centre de La Chapelle et pourquoi porter l’affaire devant les tribunaux ?

Antoine Decourcelle : Ce centre pour réfugiés est lié à un centre d’examen des situations administratives imposé par la préfecture : le Cesa. Cet objet juridique non identifié écarte les migrants de la procédure de demande d’asile. Il se situe dans les locaux de la préfecture où sont enregistrées les demandes d’asile, sauf que les migrants du centre de La Chapelle sont reçus à un étage à part où on ne leur propose pas de déposer de demande d’asile. Ils sont enregistrés, empreintes comprises, puis orientés vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO) en province, ou des centres d’hébergement d’urgence pour les migrants (CHU migrants) en Île-de-France.

Les CHU relèvent du code de l’action sociale et des familles, où l’hébergement est inconditionnel. Or, cet automne, ils ont reçu un vade-mecum de la Direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl), sorte de norme de prise en charge pour chaque gestionnaire, qui doit rendre compte à la préfecture des situations administratives des personnes qu’il héberge. À Paris, la préfecture a délégué la tâche de recueil de ces informations au Groupe d’intérêt public habitat et interventions sociales (GIP-HIS), habilité à gérer les entrées et les sorties en CHU. Ce bras armé de la préfecture peut donc exclure des migrants des structures. Nous estimons que c’est illégal.

Pourquoi les CAO et CHU migrants mis en place à la suite du démantèlement de la jungle de Calais s’entourent-ils d’un certain mystère ?

Les autorités craignent les oppositions locales et préfèrent rester discrètes pour limiter les réseaux de solidarité. Si elles n’ont rien contre ceux qui fournissent aide matérielle, nourriture et animations, elles redoutent les mobilisations anti-expulsions. Par ailleurs, certains lieux glissent vers de la surveillance : Adoma, par exemple, a ouvert des places pour assigner des personnes à résidence, alternative à la rétention. La police vient parfois directement dans les centres pointer les présences.

En quoi le sort des personnes tombant sous le coup de la procédure de Dublin – qui oblige à déposer sa demande d’asile dans le pays de son enregistrement dans l’Union européenne (UE) – s’est-il aggravé ?

Si les accords signés entre l’UE et la Turquie ont freiné les passages par la mer Egée et la route des Balkans, les arrivées de réfugiés continuent à se maintenir à un rythme élevé. Les gens passent moins par la Grèce mais arrivent par l’Espagne et l’Italie, où ils sont inscrits dans le fichier Eurodac. Viennent aussi trouver refuge en France des personnes qui ont été déboutées du droit d’asile en Allemagne et dans les pays nordiques.

En France, un Afghan a près de 80 % de chances d’obtenir une réponse favorable à sa demande d’asile, alors qu’en Norvège c’est moins de 50 %. Le ministère a donc envoyé en juillet une circulaire aux préfectures pour limiter le « risque d’appel d’air » : il leur demande d’appliquer rigoureusement la procédure de Dublin en multipliant les transferts vers les autres pays d’Europe ou en faisant des prolongations « pour fuite » des procédures Dublin : les concernés se trouvent empêchés de demander l’asile.

Il y aurait eu environ 85 000 demandes d’asile en France en 2016, réexamens des dossiers et mineurs compris. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des procédures Dublin. On estime le nombre global à plus de 100 000. C’est moins qu’en Allemagne et en Italie, mais en augmentation constante. Le nombre de protections accordées avoisine les 36 000 en 2016. Une pétition Stop Dublin circule, mais la France, qui ne veut pas trop accueillir, risque d’être peu motrice dans la recherche d’une alternative. Nous demandons l’élargissement des dispositifs de droit commun : transformer tous les CHU et CAO en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), et autoriser les migrants à travailler pour ne pas créer artificiellement de frais d’assistanat et leur rendre une autonomie.

Antoine Decourcelle Responsable de la commission asile à la Cimade.

Société
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