Hafizullah, 22 ans, « dubliné » et en danger

Un jeune Afghan hébergé en Lozère a été renvoyé en Norvège du fait de la procédure de Dublin. Il risque l’expulsion vers son pays d’origine, où son père a été assassiné.

Ingrid Merckx  • 17 mai 2017 abonné·es
Hafizullah, 22 ans, « dubliné » et en danger
© photo : Ulysse Lefebvre / Hans Lucas / AFP

Deux fois par semaine, Hafizullah Safi, 22 ans, venait pointer à la gendarmerie de Marvejols (Lozère). La préfecture de Mende lui en avait intimé l’ordre après l’avoir assigné à résidence. Le 9 mai, alors que le jeune Afghan se présentait comme à l’accoutumée, les gendarmes l’ont arrêté puis envoyé vers le centre de rétention de Lyon, qui, le lendemain, l’a mis dans un avion pour la Norvège.

« Il était terrorisé à l’idée de repartir dans ce pays qu’il a fui et où, sa demande d’asile ayant été rejetée, il sait qu’il sera renvoyé vers l’Afghanistan, où son père a été égorgé par les talibans », se désole Catherine. Professeure de français à la retraite, elle dit rester « sans voix » devant cette expulsion : « On pensait qu’on aurait du temps pour réagir, trouver une solution. Tout s’est passé si vite ! » « J’applique les règles », aurait justifié le préfet, Hervé Malherbe.

Avec une autre habitante de Marvejols qui donne aussi des cours de français aux « jeunes du CAO » (centre d’accueil et d’orientation), Catherine a écrit deux textes. Dans l’un, les deux femmes racontent comment Hafizullah est arrivé en Lozère en février, en bus, « après une marche de six mois (où la police lui a tiré dessus à la kalachnikov et l’a blessé au genou), la Turquie, la Bulgarie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Suède… ». Hébergé en Norvège à partir de septembre 2015 avec d’autres jeunes, il avait commencé à y suivre des cours de norvégien, de maths et de musique, puis il s’était enfui après le rejet de sa demande d’asile. En France, il est resté un moment à la rue, « à Paris peut-être, on ne sait pas trop », glisse Élisabeth, membre de RESF 48.

C’est l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) de Montpellier qui a précisé au jeune homme qu’il tombait sous le coup de la procédure de Dublin et ne pouvait déposer de demande d’asile dans l’Hexagone. « De fin février au 9 mai, il suit avec une parfaite assiduité les cours de français, fait la connaissance de plusieurs personnes, aide des bénévoles au Secours populaire un après-midi par semaine, fait du sport », poursuit Catherine, en soulignant le caractère « aimable » d’Hafizullah : « Sans doute était-il anxieux en songeant silencieusement à son sort, à celui de ses proches et de son pays. Parvenait-il à contacter sa famille en Afghanistan ? Nous ne le savons pas. »

Le CAO de Marvejols a été créé après le démantèlement de la jungle de Calais pour une quinzaine de migrants, tout particulièrement afghans, pakistanais, érythréens, irakiens. Âgés de 22 à 26 ans en moyenne, les migrants y sont accompagnés par l’association La Traverse, assistée du Secours populaire, des Restos du cœur, d’Emmaüs, du Secours catholique et d’Alter pour les colis alimentaires et l’organisation d’activités.

« Si certains habitants n’ont pas vu arriver les migrants d’un très bon œil, ceux-ci sont globalement bien accueillis dans cette petite ville de 6 000 habitants où le tissu associatif est assez développé », confie Catherine. Pour preuve : la plupart des résidents du CAO souhaitent s’installer en Lozère. À condition qu’ils puissent obtenir un titre de séjour et trouver du travail. Un autre jeune Afghan du CAO, lui aussi « dublinable »,a quitté la France de peur de subir le même sort qu’Hafizullah, « avec des pensées suicidaires », précise RESF 48.

Catherine et sa collègue rappellent : « Depuis le début de la Deuxième Guerre mondiale, les Marvejolais ont toujours reçu des réfugiés, des résistants de tous les pays en guerre au fur et à mesure des conflits. » Hafizullah a envoyé un message de Lyon. Depuis, rien. Le 17 mai, un rassemblement était organisé devant la préfecture « pour manifester notre colère », précisait l’appel.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle
Médias 11 juillet 2025

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle

Cette année encore, France Télévisions a reconduit Franck Ferrand aux commentaires en charge du patrimoine lors du Tour de France. L’historien, très contesté, fan de Zemmour et de thèses révisionnistes, n’hésite pas, insidieusement, à faire passer ses idées.
Par Pierre Jequier-Zalc
La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien
Luttes 11 juillet 2025

La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien

Si le Tour de France est avant tout un événement sportif, il permet aussi à des luttes sociales et politiques de mettre en avant leur combat. Comme lundi dernier, à Dunkerque pour sauver les emplois d’ArcelorMittal.
Par Pierre Jequier-Zalc
« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »
Entretien 11 juillet 2025 abonné·es

« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »

Alors qu’un accord d’échange des personnes exilées a été trouvé entre la France et le Royaume-Uni, Amélie Moyart, d’Utopia 56, revient sur les politiques répressives à la frontière et le drame qui a conduit l’association à porter plainte contre X pour homicide involontaire.
Par Élise Leclercq
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant