Les enjeux cachés des législatives

Au-delà de l’objectif affiché de faire élire un maximum de députés à l’Assemblée nationale, c’est la recomposition globale de la gauche qui se joue dans cette élection.

Pauline Graulle  • 31 mai 2017 abonné·es
Les enjeux cachés des législatives
© JOEL SAGET/AFP

À première vue, il y a de quoi désespérer : une prolifération inédite de candidats, des guerres fratricides, des alliances sans queue ni tête… S’en tenir à cette décomposition politique qui se produit en direct serait pourtant passer à côté de l’essentiel. Car ce qui se joue vraiment dans ces élections législatives de 2017 échappe à l’œil nu. Moins que la victoire le 18 juin prochain, c’est une bataille cachée que se livre la gauche. Une guerre invisible pour dessiner le paysage politique de la décennie à venir.

Il faut dire que l’atterrissage surprise de La République en marche au centre du jeu a tout bouleversé. La grande clarification se fait aujourd’hui en accéléré et, avec elle, le chambardement des partis qui venait – sûrement, mais lentement. Conséquence : demain compte moins qu’après-demain. Et, au-delà de l’échéance électorale du 18 juin, c’est un billard à plusieurs bandes que jouent les différents protagonistes, chacun défendant ses propres objectifs et intérêts.

Quand la France insoumise entend prendre le leadership à gauche (lire ici et ) et remplir ses caisses afin de pérenniser son existence (lire ici), le PCF, EELV et les hamonistes – plus que jamais sur le point de partir du PS – ont choisi la stratégie inverse : celle de l’union. Sans doute persuadés qu’être à plusieurs leur donnera plus de poids qu’être seuls…

Une coalition concurrente à la France insoumise, entre les communistes, socialistes « hamonistes » et les Verts dans les prochaines années ? « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, on n’en est pas encore là », temporise David Cormand, secrétaire national d’Europe écologie-Les Verts (EELV). S’il estime qu’il faut créer « un nouvel imaginaire politique qui n’est pas dans le “dégagisme” et la brutalisation des débats » – suivez son regard… –, le patron des écolos ne veut pas pour autant d’une nouvelle « synthèse molle rouge, rose, verte ».

N’empêche. Sous ses apparences chaotiques, la carte électorale de ces législatives annonce bien des choses pour la suite. À commencer, donc, par la rupture définitive entre le PCF et la FI. Certes, la FI peut revendiquer le fait qu’une quinzaine de titulaires communistes ont accepté de se ranger sous sa bannière. Certes, dans 22 circonscriptions, les communistes et les insoumis soutiendront le même candidat : c’est par exemple le cas à Marseille pour Jean-Luc Mélenchon (FI), dans la Somme pour François Ruffin (FI), à Dieppe pour Sébastien Jumel (PCF), dans la 11e circonscription de Seine-et-Marne contre le socialiste Olivier Faure, ou dans la circonscription Bagneux-Malakoff-Montrouge, où un binôme FI-PCF mènera campagne.

Mais les deux formations, anciennement alliées dans le Front de gauche, et dont les relations sont de plus en plus exécrables, partent concurrentes dans quelque 400 circonscriptions.

Si la FI est persuadée que sa dynamique « en solo », qui l’a portée à près de 20 % lors de la présidentielle, sera également gagnante aux législatives, le PCF, en revanche, semble se chercher de nouveaux alliés au PS et chez les Verts. Pas un hasard, dès lors, si le Parti communiste soutient les frondeurs Philippe Noguès (ex-PS) dans le Morbihan ou Barbara Romagnan (PS) dans le Doubs contre les candidats de la FI. Dans la Somme – hormis la circonscription de François Ruffin –, le Jura et les Landes, un accord local a même été passé entre PS, PCF et EELV.

Enfin, pour battre Myriam El Khomri dans la 18e circonscription de Paris, le PCF a choisi son camp, optant pour la candidature citoyenne de Caroline De Haas, également soutenue par EELV et Benoît Hamon, plutôt que pour l’insoumis Paul Vannier. Un choix qui a créé la zizanie au sein de la section locale du PCF…

Du côté des « hamonistes », on compte faire coup double dans ces législatives : affaiblir la FI, arrivée en pôle position à gauche le 6 mai mais que l’on refuse de voir s’installer comme la seule force d’alternance à gauche, et préparer la suite avec les communistes et les écologistes. « Mélenchon ne veut pas discuter, même dans les circonscriptions où il y a un risque FN. Dont acte. La République en marche et la France insoumise sont des alliés objectifs pour détruire le PS et nous faire croire qu’il n’y a pas de place entre eux deux, or nous, on ne le croit pas », souligne Alexis Bachelay, porte-parole de Benoît Hamon lors de la présidentielle.

L’ancien candidat socialiste devait se rendre, ce jeudi, à un meeting dans la 6e circonscription de Paris en faveur de la députée sortante, Cécile Duflot, dont l’investiture a fait l’objet d’un accord électoral entre le PS et EELV. Mais Benoît Hamon a décidé d’aller au-delà de la ligne (pour le moins illisible, lire ci-contre) fixée par Solférino. Sa stratégie ? Soutenir tout candidat de gauche, qu’il soit socialiste (frondeur ou non), communiste ou écologiste, du moment qu’il s’oppose à un candidat pro-Macron. Seule exception notable à cette règle : les candidats de la France insoumise, dont aucun n’a trouvé grâce aux yeux du député de Trappes. Et tant pis si cela crée quelques incohérences.

Ainsi, contre Manuel Valls à Évry, Benoît Hamon soutient le candidat communiste, Michel Nouaille, pourtant crédité de 6,5 % des votes [1], contre la FI Farida Amrani, qui a des chances de l’emporter. Quelques kilomètres plus loin, toujours en Essonne, le même soutient le PCF Philippe Rio contre le socialiste Malek Boutih et l’insoumise Charlotte Girard, alors même que le communiste est déjà maire de Grigny – rappelons que Benoît Hamon s’est prononcé en faveur du non-cumul des mandats.

Last but not least, ce dernier soutient le PCF Aymeric Seassau en Loire-Atlantique contre l’ex-écolo tombé sous le charme d’Emmanuel Macron, François de Rugy, même si le communiste n’est autre qu’un fervent pro-aéroport de Notre-Dame-des-Landes… « Vous voyez, les choses ne sont pas si simples entre EELV et Benoît Hamon ! », s’exclame David Cormand, qui souligne que les candidats EELV partent indépendamment « dans 70 à 80 % des circonscriptions ».

Une chose est sûre : la recomposition ne sera pas toujours une partie de plaisir. Ainsi, si l’état-major du PCF a un faible pour le socialisme tendance Hamon, le parti est de plus en plus divisé en interne, et une part non négligeable des communistes continue de vouloir rallier Jean-Luc Mélenchon. Par ailleurs, la bataille qui s’annonce à Saint-Denis (93) entre le député socialiste sortant proche de Benoît Hamon, Mathieu Hanotin, et le communiste rattaché à la FI Stéphane Peu, soutenu par Pierre Laurent, pourrait encore compliquer le rapprochement…

Ce n’est pas Martine Billard, responsable des élections pour la France insoumise, qui dira le contraire. Sceptique sur la « course aux étiquettes » que se livrent, selon elle, le PCF, l’aile gauche du PS et EELV – « Ils ne comprennent pas que, pour les électeurs, ce qui compte, c’est la cohérence du discours, pas de voir un maximum de logos en bas des affiches de campagne ! » –, elle pronostique de nombreuses défaites chez les députés hamonistes, EELV et communistes : « Ils ne pourront probablement pas s’appuyer sur un groupe puissant à l’Assemblée », estime-t-elle, n’évacuant pas l’hypothèse de faire un groupe commun entre la FI et les autres. « Quant au PCF, qui a toujours refusé de se dépasser dans une force plus large comme la France insoumise, je ne vois pas pourquoi il changerait subitement de stratégie… Il faudra voir dans quelques mois comment tout cela évolue. » Le rendez-vous est pris.

[1] Selon un sondage Ifop-Fiducial pour le JDD et Sud Radio, qui mettent Manuel Valls et Farida Amrani au coude-à-coude au second tour.

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