Pourquoi Nicolas Hulot a dit « chiche ! »

Conclusion d’un an d’échanges avec Emmanuel Macron, la décision de l’écologiste d’entrer au gouvernement a été longuement mûrie, raconte Jean-Paul Besset, l’un de ses confidents politiques.

Patrick Piro  • 19 mai 2017 abonné·es
Pourquoi Nicolas Hulot a dit « chiche ! »
© photo : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Il existe un indéniable « effet Hulot », et la nomination de l’écologiste au poste de ministre d’État chargé de la transition écologique et solidaire dans le gouvernement Édouard Philippe a été la plus commentée de toutes, largement approuvée par l’opinion publique tous bords politiques confondus. Par sa personnalité, son indépendance d’esprit et son absence de carriérisme, il donne certes du crédit à la volonté d’Emmanuel Macron de casser les codes politiques classiques. Mais Hulot aura-t-il les appuis et les reins pour faire de l’écologie cette « priorité » que le Président vient très fraîchement d’affirmer ?

Jean-Paul Besset, écologiste historique, a été député européen EELV, parti qu’il a quitté en 2016. C’est un très proche compagnon de route de Nicolas Hulot, qui l’a régulièrement consulté lors de ses réflexions politiques.

Nicolas Hulot a refusé par trois fois le poste de ministre de l’Écologie, qui lui a été proposé par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy puis François Hollande. Quelle garantie a-t-il obtenue d’Emmanuel Macron pour se décider à accepter cette fois-ci ?

Jean-Paul Besset : Ça ne s’est pas passé comme cela, il n’y a pas eu de marchandages. Son entrée au gouvernement est le résultat d’un processus assez long, qui a commencé plusieurs mois avant l’élection d’Emmanuel Macron. Les deux se parlaient régulièrement, et pratiquement depuis le lancement d’En marche !. Nicolas Hulot s’est montré spontanément intéressé par le profil du mouvement et par la démarche d’Emmanuel Macron : on ne demandait a priori pas l’étiquette politique des gens, il s’agissait de rassembler les énergies pour mettre en route le changement. Alors que les propositions précédentes consistaient d’abord à adhérer à un gouvernement de droite, ou de gauche. Aujourd’hui, il s’agit d’une autre voie, et c’est ce type d’approche de la politique qu’il a toujours souhaité.

Au printemps dernier, Nicolas Hulot envisage sérieusement sa propre candidature à la présidentielle, à laquelle il renonce brusquement en juin 2016. Un lien de cause à effet ? Mise-t-il alors sur Emmanuel Macron ?

Non, pas du tout. Il a expliqué qu’il n’était pas prêt à cette épreuve politique et personnelle, et la démarche d’Emmanuel Macron n’y est pour rien. Rappelons d’ailleurs que Nicolas Hulot a dit pendant la campagne que le programme de Benoît Hamon lui convenait mieux que celui d’Emmanuel Macron.

Nicolas Hulot savait-il avant le 7 mai qu’il serait au gouvernement si Emmanuel Macron l’emportait ?

Non. S’il s’agit d’une décision personnelle longuement mûrie de sa part, il n’y avait pas de plan préétabli de cette nature. Ils se sont rencontrés à nouveau tout de suite après le second tour, et ils sont tombés d’accord avant l’investiture d’Emmanuel Macron, pas seulement sur la méthode mais aussi sur le fond, partageant l’analyse sur la crise écologique et sur l’opportunité qu’elle offre de rénover profondément la société.

Pourtant, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron se soit distingué par ses prises de position sur l’écologie, depuis des mois…

C’est tout à fait exact. On peut parler d’un défaut de vision de son équipe, mais, surtout, il n’a jamais été interrogé sur ce terrain ! Ces questions sont passées au travers du tamis.

Le fait de ne pas être spontanément interpellé sur l’écologie n’a pas empêché Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon de présenter cette question comme prioritaire…

Mais Emmanuel Macron en a peu à peu pris conscience. Et il a d’ailleurs affirmé dès son premier Conseil des ministres, mercredi dernier, que l’écologie était d’une importance centrale. Dans les tout derniers jours précédant le premier tour de la présidentielle, il a fait circuler un texte, passé inaperçu, où il disait vouloir faire de l’écologie le fil rouge de son quinquennat s’il était élu. Au court des échanges qu’il a eus avec lui, Nicolas Hulot a constaté qu’ils étaient d’accord sur la nécessité d’une transition écologique et solidaire. Il y a eu convergence sur l’analyse de la problématique, et sur une méthode politique débarrassée de ce qui stérilise l’action, mettant en œuvre la volonté de changement en s’appuyant sur l’énergie des personnes et leurs compétences.

Pour autant, Nicolas Hulot et Emmanuel Macron n’ont pas les mêmes positions sur de grands dossiers emblématiques comme Notre-Dame-des-Landes ou le nucléaire…

Je ne vais pas vous dire qu’il n’y a pas de nuances et des différences sur leur vision de l’avenir. Mais elles seront le sujet de dialogues et pas d’affrontements position contre position. Sur la place du nucléaire, à terme, Nicolas Hulot souhaite une sortie totale, Emmanuel Macron n’en est pas convaincu. Mais au regard de la complexité du sujet, j’appelle cela une nuance. Car ils sont en tout cas d’accord pour conduire une réduction progressive et pragmatique du nucléaire, sans « tout casser ». Et pour la suite, on verra. Je rappelle que Nicolas Hulot n’était pas antinucléaire il y a quelques années, c’est la catastrophe de Fukushima qui l’a fait changer d’avis. Pourquoi Emmanuel Macron ne pourrait-il pas lui aussi faire le même chemin ?

Quand à Notre-Dame-des-Landes, si Nicolas Hulot est opposé au projet, il convient, parce que c’est la démocratie, qu’il faut respecter le résultat du référendum local de juin 2016 qui montrait une majorité favorable à l’aéroport. Cependant, Emmanuel Macron et lui sont d’accord sur la méthode : au lieu de compter les points entre des tenants d’options opposées, on va discuter pour ouvrir enfin, rationnellement et de manière apaisée, le vrai débat sur les enjeux et les solutions. Une médiation a d’ailleurs immédiatement été annoncée pour résoudre ce dossier, qui va constituer un cas d’école pour la méthode.

Depuis longtemps Nicolas Hulot a fait une priorité absolue de l’instauration d’une fiscalité orientée vers la baisse des émissions de CO2. N’y a-t-il pas une contradiction forte avec l’orientation très libérale du programme économique d’Emmanuel Macron ?

Pas nécessairement. Emmanuel Macron est d’accord, sur le fond, pour engager une « décarbonation » de l’économie. Il veut faire passer le coût de la tonne de carbone émise à 100 euros d’ici à la fin du quinquennat, alors qu’elle est tombée aujourd’hui à moins de 5 euros sur les marchés d’échange européens. Et c’est a priori une décision de politique nationale, la Suède est parvenue à ce niveau de taxation sans attendre un hypothétique consensus au niveau de l’Union européenne.

Ce dossier central pourrait-il rapidement devenir une pomme de discorde ?

On lit ici ou là que l’indépendance de Nicolas Hulot pourrait le conduire rapidement au clash, mais il n’est pas dans cet état d’esprit. Il est déterminé à une action volontariste, dans l’endurance plus que la spontanéité. Et pour tenir dans la durée, il faudra accepter des compromis et tenir compte des rapports de force. Il y aura des contradictions et des cahots à affronter. Mais c’est de cette manière-là qu’il pourra enclencher des changements structurels profonds.

Nicolas Hulot avait lancé en 2007 la proposition de créer un poste de vice-Premier ministre à l’Écologie. Il ne l’a pas obtenu. Quelle marge de manœuvre peut-il espérer ?

Il a essayé d’obtenir ce poste. Mais sa création posait notamment des difficultés techniques, il faudrait semble-t-il une modification de la Constitution, et ce n’est peut-être pas le moment. Cependant, le rang de ministre d’État lui donne la prérogative d’intervenir sur les arbitrages dans tout le champ interministériel. Et par ailleurs, le périmètre de son ministère est important, l’intitulé « transition écologique et solidaire » n’est pas de façade.

Mais il sera sous la tutelle d’un vrai Premier ministre, Édouard Philippe, bien peu sensible à l’écologie…

Encore une fois, nous assistons à un big-bang politique où la caractérisation des personnes en fonction de ce qu’elles ont été n’a plus sa place. Accepter de participer à ce mouvement signifie que l’on rejette les visions figées du monde. Cette aventure parie sur l’intelligence des gens.

Quelles premières mesures compte-t-il prendre ?

Je lui laisse la primeur de les annoncer…

Il n’a peut-être pas beaucoup de temps devant lui, le résultat des législatives peut provoquer un changement radical de gouvernement…

Encore une fois, il ne s’est pas engagé pour faire deux ou trois coups à la va-vite. S’il a dit « chiche », c’est parce qu’il pense que c’est possible, qu’il existe une très forte dynamique de changement au sein de la société française, et qu’elle a de bonnes chances de se confirmer dans les urnes les 11 et 18 juin. C’est une nouvelle page qui s’ouvre, sans garantie, mais qui offre la perspective d’échapper aux blocages, un changement qui dépasse Emmanuel Macron lui-même.

Pour aller plus loin…

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »
Entretien 17 avril 2024 abonné·es

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »

Peter Mertens, député et secrétaire général du Parti du travail de Belgique, publie Mutinerie. Il appelle à multiplier les mobilisations contre l’Europe néolibérale et austéritaire sur tout le Vieux Continent.
Par Olivier Doubre
« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 
Politique 12 avril 2024 abonné·es

« Les Écolos, c’est comme les pirates dans Astérix qui se sabordent eux-mêmes » 

À la peine dans les sondages pour les élections européennes, avec une campagne qui patine, le parti écologiste se déchire sur fond d’affaire Julien Bayou. La secrétaire nationale, Marine Tondelier, tente d’éteindre le démon de la division.
Par Nils Wilcke
« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »
Entretien 11 avril 2024 abonné·es

« Il est presque sûr que des eurodéputés RN ont reçu de grosses sommes de la Russie »

À deux mois des élections européennes, l’ONG internationale Avaaz part en campagne contre le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen dont les sulfureux liens internationaux sont inquiétants.
Par Michel Soudais
« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »
Entretien 10 avril 2024 libéré

« La gauche de demain doit être soucieuse d’un rassemblement démocratique »

Le professeur de science politique Philippe Marlière est coauteur d’un court ouvrage étrillant la classe politique française et interpellant six personnalités (dont Hollande, Macron, Mélenchon). Pour lui, la gauche doit se repenser si elle souhaite devenir majoritaire.
Par Lucas Sarafian